PRINTEMPS 2014  
VOLUME 8 | NUMERO 1  
 

 
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Mot du directeur exécutif

Le Québec tire-t-il les meilleurs bénéfices de son électricité ?



Par Luc Boulanger

Directeur exécutif, AQCIE

J’ai eu le plaisir de faire une présentation le 1er avril dernier à la 2e édition du Sommet sur l’énergie, organisé par les Événements Les Affaires. Pour le bénéfice des 130 personnes vivement intéressées par l’énergie qui y participaient, l’AQCIE a exposé comment le contexte actuel de bas prix de l’énergie aux États-Unis influençait considérablement l’industrie au Québec, au point de retarder des investissements stratégiques et d’entraîner d’éventuelles délocalisations. Nous avons également souligné comment nous pouvions, au contraire, profiter notamment des surplus d’électricité pour favoriser l’essor des entreprises établies au Québec.

Je reprendrai ici les grands thèmes de cette présentation, que je vous invite aussi à consulter, notamment pour bénéficier des nombreux graphiques que nous y avons inclus.

Une économie fortement mondialisée

Il faut d’abord prendre acte que les industries québécoises, et particulièrement les plus grandes, évoluent dans un contexte fortement mondialisé. Les installations établies ici doivent être compétitives pour attirer les investissements structurels et les ajouts de capacité. Sans investissement celles-ci sont vouées à la délocalisation et à la fermeture. Il existe donc une forte rivalité internationale pour attirer ces Investissements

La structure industrielle du Québec repose sur des secteurs consommant beaucoup d’électricité, qui peut représenter de 25 % à plus de 75 % de leurs intrants. La compétitivité des tarifs d’électricité est un élément essentiel de la compétitivité d’ensemble de ces installations. Malheureusement, les tarifs industriels québécois glissent sur la courbe de la compétitivité, au point où on peut en trouver certains inférieurs de près de moitié en Nouvelle-Angleterre.

Dans le secteur de l’aluminium, 95 % des investissements à l’échelle mondiale sont faits là où les prix industriels de l’électricité se situent dans les deux premiers quartiles. À l’inverse, 90 % des fermetures partielles ou totales se font dans les installations dont les tarifs se situent dans les deux derniers quartiles. Or le tarif grande puissance (L) d’Hydro-Québec se situait encore récemment dans le quatrième quartile1.

Pas étonnant qu’Alcoa ne pouvait maintenir ses installations au Québec avec un tel tarif. Il lui fallait impérativement un contrat à partage de risque, qui se situe au début du troisième quartile.

Où mène le statu quo ?

Précisons d’abord que l’AQCIE représente toutes les grands secteurs industriels au Québec, et pas seulement les alumineries. On voyait récemment dans l’actualité2 que Silicium Québec, établie à Bécancour, était celle qui payait le plus cher son électricité de tout le groupe Global Metallurgical, qui exploite cinq autres usines aux États-Unis. Impensable donc d’augmenter ici la production, qui se fait ailleurs à moindre coût. Et pour ce qui est de faire de nouveaux investissements, poser la question c’est y répondre.

Bien sûr, la conjoncture varie dans les différents secteurs industriels mais un fait demeure : économie mondialisée et perte de compétitivité ne font pas bon ménage. Qu’adviendra-t-il de nos grandes industries sans investissements ?

Tout cela, à un moment où les États-Unis se sont engagés résolument dans le rapatriement de la production manufacturière. Une politique claire, menée rondement, qui a déjà créé des centaines de milliers d’emplois et entraîné la délocalisation d’entreprises – comme Electrolux.

Le Québec, lui, n’a connu aucune nouvelle implantation industrielle d’envergure depuis 2006. Des projets d’investissements industriels largement publicisés ont été reportés ou abandonnés. Pour maintenir et faire croître ici les activités industrielles, il faut des tarifs compétitifs, stables, prévisibles et flexibles. Et l’électricité ne nous manque surtout pas. Il suffit de vouloir.

Tarifs compétitifs

On ne peut se limiter au Québec, ou même au Canada, pour établir la compétitivité des tarifs industriels. C’est ce qu’a compris la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec qui suggère d’utiliser le Prix d’achat fixe selon les opportunités du marché, ou PASO, comme référence pour différents éléments, dont les coûts d’approvisionnement d’Hydro-Québec. Or ce PASO, équivalent au prix moyen des exportations hors pointe de l’année précédente, se situerait actuellement aux alentours de 3 ¢/kWh. On est loin de l’éolien !

Ce prix n’est pas à la veille de fluctuer beaucoup. Le marché de l’énergie dans nos régions avoisinantes est fortement influencé par l’abondance du gaz de schiste, qu’on utilise en Nouvelle-Angleterre pour produire plus de la moitié de l’électricité. Voilà pourquoi ces prix sont étroitement liés, comme on le voit ici :

Graphique 1

Le manque actuel d’infrastructures gazières peut créer des engorgements et des pointes de prix ponctuelles, comme en décembre dernier, mais à long terme, la progression sera très lente, tel qu’illustré sur le tableau suivant :

Graphique 2

Pour donner une idée, un prix de 6 $/MMBtu, en 2030, correspondrait à 5 ¢/kWh (en $ US 2012), soit bien en-deçà des pointes observées en 2005 et 2008 dans le premier graphique.

La tempête parfaite

Les surplus titanesques d’électricité dont dispose Hydro-Québec ne pourraient survenir à pire moment. Raison de plus de s’étonner de voir l’ajout à fort prix d’énergie éolienne à ce bilan énergétique déjà si excédentaire, alors que toute l’électricité patrimoniale n’est pas même utilisée.

Graphique 3

Il en résulte pour Hydro-Québec une marge de manœuvre supérieure aux débouchés de l’exportation, déjà déprimés, qui fait chuter son revenu unitaire :

Graphique 4

Car, dans le marché de l’exportation, une fois les heures payantes comblées, les ventes additionnelles se font à faible prix, inférieurs même à 3¢/kWh. Puisque Hydro-Québec exporte déjà pratiquement à pleine capacité, exporter plus ne pourra se faire que pendant les périodes les moins payantes. Comme nous avons vu le lien étroit qui existe entre le prix de l’électricité et celui du gaz sur les marchés d’exportation, et la faible progression anticipée de ce prix, cette situation n’est pas près de changer.

De nouvelles interconnexions sont en discussions : Champlain Hudson Power Express (NYISO) et Northern Pass (ISO-NE). Mais, en plus de soulever de l’opposition, elles exigent de lourds investissements qui diminueront d’autant les revenus d’exportation. Leur rentabilisation exigerait donc de vendre aussi de l’électricité à l’extérieur des heures de pointe, réduisant le revenu moyen.

Vendre moins cher à la concurrence qu’à nos industriels

L’exportation d’électricité québécoise à faible prix aide nos concurrents industriels des États-Unis à s’approvisionner à des prix inférieurs à notre tarif L. Cela aide les juridictions des États-Unis à offrir des avantages aux entreprises (flexibilité tarifaire, subventions à la création d’emplois - Power for Jobs), car elles sont disposées à faire « affaires » avec leurs partenaires industriels.

La logique exigerait que le Québec en fasse autant : être disposé à faire « affaires » avec ses industriels et leur offrir des tarifs au moins aussi avantageux que les prix à l’exportation. D’autant plus que l’électricité exportée n’entraîne au Québec aucune retombée économique additionnelle, tandis que chaque kWh utilisé par les grands industriels ici rapporte plus de 16 ¢, uniquement en achat d’électricité, en masse salariale, en matières premières et en biens et services liés à l’exploitation courante3.

Exporter ou utiliser – un faux débat

La « beauté » des énormes surplus d’électricité, c’est qu’il n’y a même pas à choisir. Les ressources du Québec permettent d’alimenter ses industriels et les marchés d’exportation. Mais pour assurer l’essor de l’industrie québécoise, il faut consentir aux industriels des conditions aussi favorables qu’à l’exportation, sinon plus, si l’on veut qu’ils créent ici une richesse maximale.

La Politique industrielle québécoise 2013-2017, qui cible essentiellement les PME, n’offre aucune mesure de soutien au maintien et à l’essor des grands industriels établis au Québec. Elle veut favoriser de nouvelles implantations en offrant des rabais tarifaires, malheureusement insuffisants, en quantité et en durée, pour justifier de grandes implantations. Et ce qui est pire, c’est que les industriels déjà actifs au Québec doivent contribuer, à même la tarification de l’électricité, aux rabais offerts à leurs concurrents pour s’installer ici.

Une réflexion et des ajustements s’imposent.

Tarifs stables, prévisibles et flexibles

Après avoir illustré l’amélioration nécessaire de la compétitivité des tarifs industriels au Québec, voyons maintenant d’autres caractéristiques aussi essentielles de ces tarifs pour attirer des investissements : leur stabilité, leur prévisibilité et leur flexibilité.

Par définition, les tarifs d’électricité doivent couvrir la desserte de ce service et une marge de profit raisonnable. Lorsqu’on leur impose en plus de défrayer le développement économique, social ou environnemental, ces tarifs deviennent des taxes. Pas que ces missions ne doivent pas être financées, mais elles doivent l’être par les voies légitimes à même les budgets des ministères visés. Comme on l’a vu dans la dernière hausse tarifaire, les approvisionnements post-patrimoniaux, dont les éoliennes, comptent pour plus de la moitié de cette hausse. Même si cette énergie n’est requise par personne.

Alourdis par des missions qui ne leur appartiennent pas, les tarifs perdent de leur compétitivité, certes, mais aussi de leur stabilité et de leur prévisibilité, puisque le gouvernement peut ajouter des coûts selon des paramètres qui répondent à des fins politiques plutôt qu’aux lois du marché.

Mais avant d’investir, un grand industriel doit aussi s’assurer de la stabilité des tarifs et de leur prévisibilité, des caractéristiques essentielles qui s’obtiennent lorsque les organismes de réglementation peuvent exercer leurs pleins droits en tout temps, et que leur indépendance est assurée. C’est pourquoi les mécanismes de nomination et de reconduction des mandats des régisseurs de la Régie de l’énergie doivent garantir l’indépendance de leurs décisions à l’égard de toute pression réelle ou pressentie

Réglementation incitative

Un mécanisme vient d’être approuvé par la Régie pour éviter qu’Hydro-Québec ne puisse générer et conserver d’importants trop-perçus, ayant totalisé plus de 1 milliard $ au cours des cinq dernières années. Tant le gouvernement que la Régie de l’énergie ont décidé d’aller plus loin, en avançant résolument vers un véritable mécanisme de réglementation incitative (voir l’article de Benoît Pepin). Il s’agit là d’une initiative fondatrice qui ferait mieux converger les intérêts de la société d’État et ceux de ses clients, notamment en instaurant dans les activités monopolistiques d’Hydro-Québec certaines contraintes reflétant la réalité des marchés.

Créer plus de richesse au Québec, c’est possible

L’infrastructure industrielle québécoise est en bonne partie électro-intensive, ce qui n’estpas un problème, et ne l’a jamais été, puisque la disponibilité d’électricité est l’un des atouts du Québec, dont il faut se servir. Le marché énergétique s’est métamorphosé au cours des dix dernières années, notamment avec l’exploitation des gaz de schiste aux États-Unis. Il faut en prendre acte, pour ajuster les tarifs industriels d’électricité québécois à cette nouvelle réalité.

Le Québec a les ressources nécessaires pour assurer aux moteurs économiques de régions entières les conditions essentielles au maintien et au développement de leur rôle socio-économique.

En matière de réglementation, le Québec doit faire preuve de plus de discipline pour assurer la compétitivité, la stabilité, la prévisibilité et la flexibilité de ses tarifs industriels. Ainsi, nous saurons attirer les investissements structurants, consolider et développer notre infrastructure industrielle.

Il est aussi essentiel que le public soit mieux informé de la réalité des tarifs industriels et de l’importance de la richesse créée par les industries pour le maintien des services auxquels ils s’attendent. Les décisions qui s’imposent gagneront progressivement un appui populaire plus vaste, puisqu’on ne craint pas ce que l’on connaît bien. fin

Notes

  1. En excluant les prix de l’électricité offerte en Chine, où la production d’aluminium répond essentiellement à sa demande interne.
  2. Tarifs d’électricité : les industries également touchées par la hausse, TVA Nouvelles, 1er avril 2014
  3. Selon un sondage réalisé auprès de 30 usines grandes consommatrices d’électricité représentant 52 % de la consommation totale des grands industriels.

Notes

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  L’ÉNERGIQUE est le bulletin d’information de l’AQCIE. Il est publié quatre fois par année à l’intention des membres et partenaires de l’Association. Toute reproduction est autorisée à condition d’en mentionner la source et de nous en informer au dg@aqcie.org