PRINTEMPS 2014  
VOLUME 8 | NUMERO 1  
 

 
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En route vers la réglementation incitative avec… un pilote à bord !

 

Par Benoît Pepin
Directeur Énergie, Amérique du Nord, Rio Tinto Alcan
et vice-président de l’AQCIE



J’ai signé dans L’Énergique de juin 20121 un premier article sur la réglementation incitative, invitant la Régie de l’énergie à aller un pas plus loin, alors qu’elle imposait à Hydro-Québec une fermeture réglementaire annuelle des livres et l’élaboration d’une formule de partage des revenus excédentaires. J’argumenterai aujourd’hui que la Régie a bien compris le rôle qu’elle doit jouer de pilote de cette transformation du cadre réglementaire québécois mais qu’elle court encore le risque de s’égarer quant à la poursuite des objectifs de ce futur régime.

Rappelons que de 2008 à 2013, ces excédents ont dépassé le milliard $, un montant que la société d’État a conservé au-delà du rendement jugé raisonnable sur son capital.

En réponse à l’intention alors manifestée par la Régie, Hydro-Québec a déposé en 2013 une proposition de Mécanisme de traitement de ces écarts de rendement (MTÉR), qu’elle présentait comme un mécanisme de réglementation incitative (MRI). Dans sa récente décision D-2014-034, la Régie modifiait le MTÉR proposé par Hydro-Québec, en faveur de ses clients.

[370] En conséquence, les écarts de rendement positifs seront partagés comme suit :
• premiers 100 points de base : Demandeurs 50 %, clientèle 50 %;
• au-delà de 100 points de base : Demandeurs 25 %, clientèle 75 %.

Du même souffle, elle statuait dans sa décision D-2014-033 que le MTÉR n’était pas un MRI, ajoutant qu’elle tiendra une audience publique sur l’établissement d’un véritable MRI.

Nous sommes donc maintenant à pied d’œuvre. La Régie accepte, comme nous l’y invitions, d’être le maître à bord. En se donnant les moyens de diriger ce dossier, elle permettra à Hydro-Québec de jouer son rôle comme participant neutre, visé par la réglementation sans en être à la fois juge et partie. Puisqu’elle reflète plusieurs des représentations faites par l’AQCIE, cette décision constitue pour les industriels une victoire importante.

Mais elle suscite aussi de vives interrogations sur l’approche qu’entend prendre la Régie pour établir le contenu du MRI d’Hydro-Québec.

Les objectifs de la réglementation incitative

Les objectifs de la réglementation incitative, tels que décrits à l’article 48.1 de la Loi sur la Régie de l’énergie, s’inscrivent comme suit :

48.1. La Régie établit un mécanisme de réglementation incitative assurant la réalisation de gains d’efficience par le distributeur d’électricité et le transporteur d’électricité.

Ce mécanisme doit poursuivre les objectifs suivants :

1° l’amélioration continue de la performance et de la qualité du service;

2° une réduction des coûts profitable à la fois aux consommateurs et, selon le cas, au distributeur ou au transporteur;

3° l’allégement du processus par lequel sont fixés ou modifiés les tarifs du transporteur d’électricité et les tarifs du distributeur d’électricité applicables à un consommateur ou à une catégorie de consommateurs.

Si les objectifs sont clairs – meilleure qualité de service à moindre coût pour les consommateurs et allégement du processus – la voie pour les atteindre reste à tracer.

L’établissement du mécanisme

En 2012, j’exhortais la Régie à : « […] se donner les moyens de créer, dès le départ, les meilleures règles applicables, sous l’éclairage de l’expertise la plus poussée disponible, plutôt que de lancer les parties dans une négociation sans encadrement. »

Car s’il y a une chose à éviter, c’est d’imposer ici une recette toute faite. Nous devons non pas chercher un MRI, mais élaborer le meilleur MRI pour le Québec puisqu’il dictera les conditions en vertu desquelles Hydro-Québec sera gérée. Certains éléments nous semblent incontournables:

  • Retenir les services d’un expert indépendant, dont la compétence est reconnue, pour orienter les travaux de la Régie, informer les participants des enjeux, mener une discussion sereine et sérieuse sur les questions à trancher.

  • Puisque l’enjeu touche le coût et la qualité du service offert par Hydro-Québec à ses clients, ce sont eux qui en assument les conséquences et les risques et ce sont eux qui doivent participer aux choix du MRI. Dans ce cadre, la Régie doit choisir judicieusement et avec parcimonie les parties prenantes évitant les débordements qui ont vicié le processus vécu par Gaz Métro.

    La Régie pourrait ici préférer avoir devant elle le gouvernement, actionnaire d’Hydro-Québec, plutôt que cette dernière qui, étant l’objet du MRI, se trouve dans une position incompatible avec les choix qui doivent la gouverner.

    Elle se doit de permettre une participation pleine et entière des clients consommateurs, à l’exclusion des groupes qui n’ont pas de tels intérêts économiques directs puisque, par son essence, l’établissement du MRI vise l’accroissement de la richesse et non sa répartition.

Une fois le MRI établi pour permettre à Hydro-Québec de tirer des revenus qui rétribuent ses efforts, la Régie aura le loisir de voir aux autres intérêts, notamment en matière sociale ou environnementale au cours de l’exercice de ses autres compétences. Ils n’en seront que gagnants puisqu’il y aura plus à partager!

Risque de détournement de sens

La lecture de la décision D-2014-033 fait cependant craindre que la Régie n’ajoute un objectif de nature fiscale à l’article 48.1 de sa Loi :

[110] L’insertion de l’article 48.1 a pour objectif de mettre en place un MRI tout en mettant l’emphase sur la réalisation de gains d’efficience pour Hydro-Québec. Pour bien comprendre ce besoin de réaliser des gains d’efficience, il est essentiel de référer au Budget 2013-2014 dévoilé en novembre 2012 qui est, en quelque sorte, l’élément déclencheur des modifications à la Loi.

[111] Dans le Budget 2013-2014, le gouvernement avait pour objectif d’atteindre l’équilibre budgétaire et pour y arriver, le gouvernement misait sur plusieurs mesures, dont les efforts additionnels de ses sociétés d’État, dont Hydro-Québec.

La Régie écrit que l’objectif du gouvernement – on infère alors erronément du MRI – est de satisfaire l’équilibre budgétaire du Québec et de combler la baisse du bénéfice net de Hydro-Québec. Il y a là confusion entre le rôle de la Régie, de protéger les consommateurs incapables de négocier et de contracter avec un rapport de force équitable avec un monopole, et celui que le gouvernement peut confier à sa société d’État, de contribuer à l’équilibre budgétaire de la province.

La Régie poursuit son raisonnement en indiquant que le MRI, plutôt que la mesure transitoire pendant la période qui en précède l’instauration, vise à permettre au gouvernement de capturer ces gains d’efficience, que la réglementation actuelle donnerait entièrement aux consommateurs.

[115] Ainsi, le gouvernement savait que les divisions réglementées d’Hydro-Québec ne pouvaient être assurées, dans le cadre de la réglementation sur la base du coût de service, de conserver les gains d’efficience réalisés. Le gouvernement cherchait à mettre en place un mécanisme qui lui permette de conserver ces gains d’efficience sans que la Loi oblige la Régie à réduire les tarifs. C’est pour pallier ce problème d’ordre légal que le législateur a édicté l’article 48.1 de la Loi et les règles transitoires expliquées précédemment.

[116] Dans ce contexte, il est justifié de conclure que l’intention du législateur était d’amener la Régie à mettre en place une réglementation qui puisse permettre aux divisions réglementées d’Hydro-Québec de conserver, en tout ou en partie, les gains d’efficience réalisés. Le choix du législateur s’est arrêté sur l’approche de la réglementation incitative.

Cette conclusion n’est en rien justifiée et ce serait un grave détournement de sens si le MRI devait permettre au gouvernement de conserver la part du lion des gains d’efficience d’Hydro-Québec. Cette logique est à la fois fausse et dangereuse.

Premièrement, le rôle de tribunal de régulation économique est essentiellement d’empêcher le monopole de capturer toute la rente. Cette fonction soutient l’objectif même de la nationalisation de l’électricité au Québec, de la formation d’Hydro-Québec et de la Régie de l’énergie.

Deuxièmement, la Loi sur la Régie de l’énergie, par son nouvel article 48.1, ne dit pas cela. Elle invite à l’efficience tant par la réduction des coûts – donc des tarifs – que par l’augmentation de la qualité de service. Elle oblige explicitement le retour de gains aux consommateurs, ne permettant qu’avec l’emploi du conditionnel ce partage avec l’actionnaire d’Hydro-Québec.

Troisièmement, si l’appétit fiscal du gouvernement devait orienter la Régie, cela la transformerait de tribunal économique à percepteur d’impôt, un rôle d’ordre exécutif. Le MRI ne serait alors qu’une taxe, illégale au demeurant.

Nous ne pouvons qu’espérer être dans l’erreur avec cette lecture de la décision D-2014-033 et que la Régie ne fasse pas sienne l’intention qu’elle prête au législateur.

La réglementation incitative, comme il a été démontré à de nombreuses reprises dans le monde, est porteuse de nombreux avantages, surtout lorsque l’on cherche à l’appliquer avec rigueur et à l’abri des impératifs politiques de court terme. L’un de ses principaux avantages consiste à assurer la compétitivité des tarifs d’électricité, sans quoi aucun investissement industriel d’envergure ne se réalise.

En ces temps où non seulement le gouvernement mais le Québec entier a besoin de richesse additionnelle, il est essentiel de réunir les conditions qui encourageront et attireront les investissements. L’électricité est l’un des grands atouts économiques du Québec, sa réglementation doit soutenir la croissance et la compétitivité du Québec, qui aidera à terme le gouvernement à boucler son budget.

La réglementation incitative est désormais à l’ordre du jour, son pilote est désigné, l’AQCIE ne ménagera aucun effort pour l’aider à arriver à bon port. fin

Notes

  1. Réglementation incitative : un reflet essentiel de l’économie de marché, L’Énergique, Volume 6 numéro 2, juin 2012, pp. 6-7

Notes

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