HIVER 2013-2014  
VOLUME 7 | NUMERO 4  
 

 
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Mot du président

Bâtir le consensus nécessaire
au développement industriel

Par Nicolas Dalmau

Président du Conseil de l’AQCIE et
Vice-président, Énergie et développement stratégique,
Alcoa Canada

Les indicateurs économiques « rouges » que nous avions soulignés dans la dernière édition ne se sont pas tous corrigés, mais celui de l’emploi est au moins passé au « jaune » avec le dévoilement des statistiques de septembre et d’octobre. Celles-ci indiquent l’ajout de près de 50 000 emplois, nous ramenant à peu près à parité avec le début de 2013. Cesser de reculer, c’est déjà un pas en avant.

Comme le soulignait l’éditorialiste Alain Dubuc dans son texte du 13 novembre La remontée fantastique, il faut considérer de façon réaliste l’impact des gouvernements sur la création d’emploi. Il faut surtout éviter d’associer la remontée de l’emploi au saupoudrage de mesures d’encouragement à l’emploi, survenu d’ailleurs après la collecte des données révélées dans l’Enquête sur la population active de Statistique Canada, pour le mois d’octobre.

Plusieurs observateurs ont souligné que les mesures économiques annoncées par le gouvernement cet automne sentaient l’improvisation et la dispersion. On peut aussi s’interroger sur la capacité de la nouvelle politique industrielle d’atteindre ses objectifs au chapitre des nouvelles implantations industrielles (voir le Mot du directeur exécutif). Et l’on peut surtout s’interroger sur l’absence de mesures pour assurer le maintien et l’essor de pans entiers de la structure industrielle québécoise, notamment dans le secteur de l’aluminium.

La difficulté qu’éprouvent le gouvernement et Hydro-Québec à agir rapidement et efficacement pour soutenir les industries s’explique en partie par des perceptions erronées, largement diffusées dans le public. S’ils contribuaient à corriger ces mythes, tant le gouvernement qu’Hydro-Québec bénéficieraient d’une plus grande marge de manœuvre – que l’on retrouve dans la plupart des autres juridictions nord-américaines – pour contribuer à l’essor industriel du Québec.

Parmi ces mythes, celui des emplois subventionnés est l’un des plus persistants et des plus dommageables. Pour le déboulonner, nous pouvons utiliser le cas de l’aluminium, que je connais évidemment très bien et qui a souvent défrayé la manchette dernièrement.

Des emplois qui coûtent 250 000 $, 50 000 $, ou qui rapportent 350 000 $ ?

L’image souvent utilisée des emplois « subventionnés » dans le secteur de l’aluminium repose sur des hypothèses, dont certaines ne tiennent pas la route. Les médias, qui ont malheureusement beaucoup de difficultés à se dépêtrer dans ces notions, entretiennent la confusion.

Une vision théorique...
Pour atteindre le coût faramineux d’une subvention de 250 000 $ par emploi offert chez Alcoa, un mythe qui reprend du service à l’occasion, il faut une certaine imagination. Les économistes tenants de cette théorie estiment que toute l’électricité consommée par les alumineries devrait être payée au coût « marginal », celui de la dernière électricité produite. Ils évaluent ce coût à 10 ¢/kWh, ou plus, notamment en raison des coûts élevés de la production éolienne. Ils déduisent de ce montant les recettes des contrats à partage de risque – actuellement environ 3 ¢/kWh en raison du prix plancher de l’aluminium sur les marchés – et concluent que la différence, environ 7 cents pour chaque kWh consommé par Alcoa, équivaut à une subvention.

Sauf que... personne ne paie l’électricité 10 ¢/kWh au Québec. Sur cette base, tous les emplois, et tous les foyers québécois sont subventionnés. Tous les kWh exportés aussi... et dans une proportion qui ressemble à celle des alumineries. Mais on ne peut pas ici répartir cette subvention en nombre d’emplois, puisque l’exportation n’en crée pas. En tout cas pas au Québec.

Qui se raffine...
Dans les faits, la tarification de l’électricité, réglementée par la Régie de l’énergie, est fondée sur un « coût moyen » de production – qui tient compte des barrages « patrimoniaux » et des nouvelles sources d’énergie beaucoup plus dispendieuses, comme l’éolien – auquel on ajoute les coûts de transport et de distribution.

Des économistes plus « modérés » calculent comme une subvention l’écart entre le tarif industriel et celui des contrats à partage de risque, environ 1,5 ¢/kWh selon l’analyste Jean-François Blain cité dans un article récent. Il en conclut que chaque emploi d’Alcoa serait subventionné à hauteur de 53 000 $. En corrigeant certaines inexactitudes dans les hypothèses (notamment l’interfinancement du tarif résidentiel par le tarif industriel, ainsi que le prix que paient réellement les alumineries pour le tarif L, en raison de leur facteur d’utilisation de près de 100 %), on arrive plutôt à un écart de 0,6 ¢/kWh. L’hypothétique « subvention » tomberait à environ 21 000 $ par emploi, une somme qui serait encore réduite par toute amélioration du prix de l’aluminium.

...mais qui ne tient toujours pas compte de la réalité
Peu importe l’approche utilisée, traiter de cette question strictement sous l’angle du tarif d’électricité est l’erreur commune à ces observations. Pour bien saisir l’enjeu, il faut retirer « ses lunettes » Hydro-Québec et jeter un regard plus large sur l’économie de la province. La vie économique du kWh livré dans une aluminerie d’Alcoa ne fait en réalité que commencer à l’entrée de l’usine. Au-delà de sa facture d’électricité de 350 millions $, Alcoa injecte dans l’économie québécoise, par les salaires versés à ses employés et des achats locaux en biens et services auprès de 2 700 fournisseurs, près de 1,2 milliard $ annuellement. En fait, sa participation à l’économie du Québec, achat d’électricité inclus, une fois divisée par le nombre de kWh utilisés, équivaut à 11 ¢/kWh.

En opérant le même calcul un peu mécanique des économistes de la « subvention », chaque emploi d’Alcoa injecte déjà plus de 350 000 $ dans l’économie. S’il fallait ajouter les coûts qu’entraînerait la fermeture d’Alcoa, en reclassement des gens occupant les emplois directs et indirects, en recherche de moteurs économiques de remplacement – ce qui n’est jamais acquis en région, surtout éloignée – et en gestion des surplus d’électricité d’Hydro-Québec, qui doubleraient sans la consommation d’Alcoa, chacun de ces emplois pourrait bien valoir 500 000 $ en revenus et en coûts évités.

Les hypothèses peuvent varier, mais quelles qu’elles soient, l’avantage du maintien des emplois d’Alcoa surpassera toujours, et par une très large mesure, l’éventuel manque à gagner tarifaire d’Hydro-Québec

La véritable question
Ce débat procède d’abord et avant tout d’un manque de vision. En se concentrant sur la question des tarifs d’Hydro-Québec, on perd l’essentiel de vue. C’est pourquoi le raisonnement qui mène à la question : « Avons-nous les moyens de subventionner les emplois d’Alcoa » est tronqué.

La question : « Le Québec a-t-il les moyens de perdre des emplois qui représentent, chacun, un demi-million $ de revenus et de coûts évités ? » couvre déjà un volet plus grand de la réalité. Gageons que si la question était présentée sous cette forme dans les médias, le gouvernement et Hydro-Québec n’auraient aucune difficulté à s’entendre, et rapidement, avec Alcoa.

Mais c’est encore insuffisant. La vraie question est : « Pourquoi le Québec devrait-il choisir entre ses alumineries, entre toute son infrastructure industrielle en fait, et les nouvelles avenues de création de richesse ? » Il y a suffisamment d’électricité (!) pour répondre à tous ces besoins. Le Québec doit protéger ses acquis industriels pour créer une richesse optimale sur son territoire. Une richesse dont il a impérativement besoin pour maintenir les services offerts à ses citoyens.

Voir plus large !

Pour constater les avantages du maintien des contrats à partage de risque dans le secteur névralgique de l’aluminium au Québec, il faut voir au-delà de la grille tarifaire d’Hydro-Québec.

Pour contribuer au maintien des grands industriels actifs au Québec, il faut prendre acte, sans complaisance, de la véritable situation concurrentielle du tarif L. Pour cela, le gouvernement et Hydro-Québec doivent regarder au-delà des limites de la province, du pays et même de l’Amérique du Nord. Pour les grands industriels, les enjeux et les solutions sont planétaires.

Pour retenir et attirer de telles entreprises, dont les retombées économiques sont énormes, le Québec doit repositionner son électricité comme un atout de son développement. Pour cela, le prix de l’électricité doit redevenir concurrentiel. La réglementation doit retrouver son entière autonomie, à distance des impératifs politiques de court terme, pour assurer que l’évolution de ces tarifs soit stable et prévisible.

Le maintien et le développement de la structure industrielle du Québec mérite mieux que des décisions et des mesures de dernière minute. En réalisant sa véritable importance, en le réaffirmant dans leurs déclarations, le gouvernement et Hydro-Québec contribueraient à construire, dans le public, le consensus qui lui fait actuellement défaut pour prendre rapidement et efficacement les décisions qui s’imposent.

Assurer le développement économique du Québec demande des arbitrages, pas des psychodrames basés sur l’image boiteuse d’emplois subventionnés. fin

Faisons de 2014 une bonne année !

Pour plusieurs de nos membres, et pour le secteur industriel québécois de façon générale, 2013 aura été une année plutôt difficile. Tout au cours de l’année, l’AQCIE n’a ménagé aucun effort, travaillant à la nécessaire amélioration de la compétitivité des tarifs d’électricité et au retour à une réglementation dégagée des aléas politiques à court terme. Souhaitons nous tous que l’embellie économique qui s’est manifestée en fin d’année se poursuive et que les efforts que nous avons déployés livrent des résultats bien concrets, afin d’aider les industriels québécois à faire de 2014 une année résolument gagnante !

Notes

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  L’ÉNERGIQUE est le bulletin d’information de l’AQCIE. Il est publié quatre fois par année à l’intention des membres et partenaires de l’Association. Toute reproduction est autorisée à condition d’en mentionner la source et de nous en informer au dg@aqcie.org