| Mot du directeur exécutif Assistons-nous à un changement de dynamique ? Par Luc Boulanger Directeur exécutif, AQCIE |
| | Les intérêts du gouvernement et des industriels se recoupent sur plusieurs points : création de richesse et d’emplois au Québec, particulièrement dans les régions; mise en valeur des ressources et des talents québécois; atteinte d’une efficacité énergétique optimale et réduction de l’empreinte environnementale, pour n’en nommer que quelques-uns. Comme le gouvernement, les industriels disposent de ressources limitées et chacun répond à des contraintes particulières, notamment l’impératif de la compétitivité pour les industriels et l’acceptabilité publique pour le gouvernement. Hydro-Québec a aussi la contrainte de répondre aux attentes de son actionnaire unique, mais si les ressources lui font défaut, elle semble n’avoir qu’à demander pour obtenir. Ce dont elle ne se prive pas dans sa récente demande tarifaire. Dans plusieurs juridictions canadiennes et nord-américaines, la reconnaissance du rôle des industriels dans l’atteinte des objectifs du gouvernement se traduit par une ouverture et une volonté réelle de collaborer. Mais pas encore au Québec. Pourquoi ? Le courant pourrait mieux passer Les grands industriels peinent à trouver, au gouvernement et chez les dirigeants d’Hydro-Québec, des interlocuteurs intéressés à « faire affaires » avec eux, à agir en partenaires. Ceci explique la sortie sur la scène publique d’enjeux qui pourraient pourtant être négociés et réglés rapidement, si les voies régulières ne menaient à une impasse. Les industriels cherchent leur place auprès du gouvernement. Leurs principaux interlocuteurs, les ministres à vocation économique, sont jusqu’à maintenant peu disposés à les rencontrer et les rares échanges tardent souvent à donner des résultats concrets. Les grandes consultations sont elles aussi avares de résultats. À témoin la politique industrielle, où les grands industriels établis au Québec ne trouvent pas de solution susceptible de soutenir leur compétitivité. On peut aussi penser à la consultation sur les enjeux énergétiques, lancée sur la prémisse de problèmes environnementaux bien plus que sur celle du développement économique et industriel du Québec. Le peu de contenu relatif à l’économie et à l’industrie trouvé dans les documents de consultation, et le déroulement des audiences, nourrissent chez les industriels certaines appréhensions à l’égard de la politique qui doit découler de cet exercice. La haute direction d’Hydro-Québec manifeste peu d’affinités avec les industriels, ce qui nuit à l’établissement d’un véritable partenariat. Et pourtant ce partenariat doit exister entre un fournisseur et les clients qui consomment plus du tiers de ses produits et services. Bref, les industriels québécois sont en manque de « champions », capables de traduire leurs préoccupations en actions, tant au gouvernement que chez Hydro-Québec. Au cours des derniers mois, plusieurs éléments ont participé à dépeindre un contexte économique assez catastrophique du Québec. Le gouvernement a réagi avec de nombreuses mesures énoncées en hâte, peu articulées entre elles. Le plan d’ensemble reste à venir, particulièrement en ce qui concerne les grands industriels qui sont restés en plan à ce jour. La volonté d’agir manifestée par le gouvernement est cependant de bon augure. Le mandat d’établissement d’un « état des lieux » de la grande industrie québécoise, confié il y a quelques semaines à KPMG, permet d’espérer un changement de dynamique. Si le gouvernement et Hydro-Québec se montrent disposés à engager un dialogue constructif et efficace avec les industriels, ils trouveront chez les membres de l’AQCIE des partenaires enthousiastes. En ce qui a trait à l’électricité, le « nerf de la guerre » pour les consommateurs industriels d’électricité, nous avons mis sur la table, à maintes reprises, les conditions gagnantes : Des tarifs concurrentiels, stables, prévisibles et flexibles On le voit, les éléments nécessaires au maintien des activités des industries grandes consommatrices d’électricité, à l’investissement dans les installations québécoises et à la croissance ne sont pas si nombreux ou si complexes que cela. Ils sont principalement de deux ordres : - la disponibilité d’électricité à prix concurrentiel, dans un contexte réglementaire qui assure la stabilité, la prévisibilité de la progression et la flexibilité des tarifs
- une approche réglementaire et fiscale d’ensemble qui assure des règles du jeu équitables, en comparaison des autres juridictions nord-américaines et mondiales.
Commençons par ce deuxième point. L’équité d’ensemble de la réglementation et de la fiscalité devrait aller de soi dans une économie développée. Pourtant, il ne se passe pas une semaine sans que l’on souligne à quel point les conditions d’investissement au Québec, dans différents secteurs, sont peu attrayantes non seulement à l’échelle du Canada, mais aussi de l’Amérique du Nord et de la planète en certains cas. Ce n’est pas une situation enviable pour la création de richesse au Québec. Or, ces conditions générales doivent être sinon avantageuses, du moins équitables pour maintenir les activités industrielles, favoriser leur croissance et en attirer de nouvelles. Et ces conditions générales touchent tous les industriels, pas seulement les grands consommateurs d’électricité. Pour ces derniers, les conditions d’utilisation optimale de cette précieuse ressource doivent être réunies. Voyons-les plus en détail : Compétitivité Le prix de l’électricité a diminué de façon radicale avec l’exploitation du gaz de schiste aux États-Unis. Des tarifs industriels moitié moins élevés que le tarif L sont offerts à nos portes, en Nouvelle-Angleterre. Cette situation n’a rien de passager. L’augmentation de 5 % du tarif L demandée pour 2014 vient amplifier la perte de compétitivité des usines québécoises. Ce tarif est devenu si peu concurrentiel que cette hausse rendra impossible la justification économique de projets d’expansion et de modernisation – certains déjà amorcés et d’autres bien concrets, actuellement stoppés à l’étape de l’approbation – qui seront alors abandonnés par les sociétés mères d’industries québécoises, en faveur d’installations situées ailleurs dans le monde. L’interfinancement du tarif résidentiel par les industriels, à hauteur de 16 % dans l’actuelle demande d’Hydro-Québec, nuit aussi à la compétitivité du tarif L. Dans certaines juridictions nord-américaines on assiste même à un interfinancement inverse. En fait, l’attrait du tarif L est si faible qu’aucune nouvelle implantation d’envergure ne s’est réalisée au Québec depuis 2006. La consommation industrielle a plutôt dégringolé de 62 TWh en 2008 à 54 TWh en 2013. La nouvelle politique industrielle reconnaît cette situation implicitement en accordant des rabais pendant dix ans pour une nouvelle implantation. Cependant, pour éviter la poursuite de la baisse de consommation des industries québécoises, cette politique doit aussi inclure les ajouts de capacité et la modernisation d’usines existantes. Mais il est permis de douter que cette politique connaisse le succès escompté. L’importance de la cible – 50 TWh, l’équivalent de presque toute la consommation industrielle actuelle ou, pour faire image, quatre fois la consommation de la ville de Sherbrooke – est disproportionnée avec les moyens déployés. À plus forte raison lorsque l’on considère l’accent que porte cette politique sur les petites et moyennes entreprises et surtout l’absence de mesure propre à encourager les grands industriels à investir dans leurs installations québécoises. Le rabais pendant dix ans du tarif L proposé pour les nouvelles implantations pose deux grands problèmes. Premièrement, cette période de dix ans est insuffisante pour amortir une installation industrielle d’envergure et le retour, à l’échéance, au tarif L est dissuasif. Deuxièmement, l’offre de tarifs spéciaux à des concurrents – alors qu’en sont exclus les industriels québécois – romprait la garantie de conditions de concurrence égale. L’effet pervers de cette politique serait d’entraîner une perte de production, voire une délocalisation, chez les entreprises concurrentes déjà implantées au Québec. En réalité, cette politique industrielle confirme que le gouvernement ne reconnaît pas actuellement les enjeux et les véritables préoccupations de ses grands industriels. Quant à Hydro-Québec, sa demande d’augmentation de 5 % du tarif L, plus de quatre fois l’augmentation de l’indice des prix à la consommation au Québec, démontre une pareille méconnaissance. Stabilité, prévisibilité Le mécanisme de fixation des tarifs au Québec, autrefois réputé, a perdu de sa fiabilité à la suite d’interventions d’ordre politique, notamment la mesure provisoire annoncée dans le dernier budget. Pareilles interventions représentent des risques importants pour un investisseur. Tout comme l’inclusion dans la tarification d’approvisionnements entièrement excédentaires – et fort coûteux - qui n’ont pour justification que le développement régional. Et il faut encore ajouter à ce portrait, pourtant chargé, la hausse tarifaire difficilement justifiable que demande cette année Hydro-Québec. Pour attirer les investissements, dans des installations existantes ou nouvelles, la réglementation de l’énergie doit retrouver son entière autonomie. Les filiales réglementées d’Hydro-Québec doivent aussi être tenues à distance des interventions gouvernementales, dès qu’elles ne visent pas le transport et la distribution de l’électricité dont ont besoin leurs clients. Flexibilité Le manque d’affinité d’Hydro-Québec avec les besoins des grands industriels empêche la conclusion, directement ou devant la Régie de l’énergie, d’ententes propres à soutenir l’exploitation des industries québécoises en périodes difficiles. Réglementation incitative L’encadrement légal et réglementaire est déjà en place pour permettre une véritable réglementation incitative de l’électricité au Québec. Il faut s’y engager résolument. Une véritable réglementation incitative corrigerait la situation embarrassante pour Hydro-Québec et son actionnaire d’avoir accumulé – et conservé – des trop-perçus de plus de 1,2 milliard $ depuis 2008. En instaurant l’équivalent de la concurrence dans les activités monopolistiques, cette réglementation rendrait aussi caduque la recherche d’un rendement garanti trop élevé par Hydro-Québec. Les industriels québécois sont à la recherche de partenaires Il est profondément anormal, en raison du rôle essentiel qu’ils jouent dans la vie économique et sociale des Québécois, que les industriels ne soient pas des interlocuteurs estimés du gouvernement et d’Hydro-Québec. Surtout au moment où les juridictions, voisines comme à l’autre bout du monde, se battent pour les attirer. Le Québec doit envoyer un message clair à ses industriels, que l’on veut faire affaires avec eux. Cela tombe sous le sens puisque, en définitive, leurs objectifs convergent avec ceux du gouvernement et avec l’intérêt des Québécois. Il est à espérer que l’analyse de KPMG, entre autres initiatives, offre au gouvernement et à Hydro-Québec une meilleure connaissance des enjeux des industriels. Et que cette connaissance se traduise par une plus grande ouverture à l’égard des industriels québécois. Le climat actuel de méfiance réciproque n’est bon pour personne. Retour au sommaire ›
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