AUTOMNE 2013  
VOLUME 7 | NUMERO 3  
 

 
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Réglementation incitative : Leader recherché

 

Par Benoît Pepin
Directeur Énergie, Amérique du Nord, Rio Tinto Alcan
et vice-président de l’AQCIE



Avant d’occuper ses fonctions actuelles, Benoît Pepin a été, de 2002 à 2007, régisseur auprès de la Régie de l’énergie. Il a également agi dans des dossiers de régulation économique devant les instances de réglementation provinciales et fédérales ainsi que devant les tribunaux supérieurs.

La réglementation incitative des services publics a pour fonction essentielle d’introduire un élément de concurrence dans la tarification d’un monopole. Cette approche a donné des résultats remarquables dans plusieurs pays et c’est à raison que le gouvernement du Québec a décidé cette année d’exiger son application dans la réglementation de l’électricité au Québec.

C’est dans ce contexte qu’Hydro-Québec a proposé un mécanisme de traitement des écarts de rendement (MTÉR), un simple partage des trop-perçus qui, dans les faits, n’a rien d’une réglementation incitative.

Et ces trop-perçus ne sont pas rien. Depuis 2008, ils ont permis à Hydro-Québec de dégager un rendement moyen de 45 % supérieur à celui que lui autorisait la Régie, soit près de 1,1 milliard $.

Trop-perçus (en M$) Hydro-Québec TransÉnergie Hydro-Québec Distribution TOTAL
2008 31,7 45,4 77,1
2009 83,6 109,7 193,3
2010 87,9 93,1 181,0
2011 66,9 63,6 130,5
2012 153,0 78,3 231,3
2013 (est.) 98,0 160,0 258,0
TOTAL 521,1 550,1 1 071,2


Au MTÉR, la société d’État ajoute une demande d’augmenter son taux de rendement de 3 %. Ces demandes lui permettraient d’empocher des profits additionnels de 250 M$ eu égard au taux de rendement de ses divisions réglementées et même, le cas échéant, de 65 M$ de plus suite à l’implantation d’une zone de non partage. Hydro-Québec pourrait alors obtenir par le rendement approuvé par la Régie le profit excessif qu’elle recevait par les trop-perçus.

Si les propositions d’Hydro-Québec étaient acceptées par la Régie, on cherche en vain l’avantage que représenterait le MTÉR pour les clients d’Hydro-Québec, et en quoi ce mécanisme accroîtrait la compétitivité des industriels québécois.
Pour cela, il faut impérativement aller vers un véritable mécanisme de réglementation incitative.

Un mode de réglementation qui a fait ses preuves

De par le monde, plusieurs juridictions ont choisi d’optimiser la performance de leurs monopoles en optant pour une forme de réglementation incitative des prix de l’électricité.

J’ai expliqué dans un article précédent1 comment ces mécanismes visent une convergence des intérêts des services publics, des entreprises et des consommateurs. En effet, puisque le monopole est maintenant amené à dégager un profit dans le cadre des revenus qui lui sont offerts plutôt que de fixer le prix selon ses besoins et ses attentes, il n’a d’autre choix que de réduire ses coûts et d’optimiser ses activités, ce dont tous ses clients profitent.

Pendant ce temps au Québec

Dans son budget de l’automne 2012, le gouvernement annonçait que la Régie de l’énergie devait opter pour une réglementation incitative. Hydro-Québec a saisi la balle au bond avec un MTÉR qui n’est pas un mécanisme de réglementation incitative. Il ne s’agit que d’un mécanisme de partage rendu nécessaire par l’envergure des trop-perçus.

L’AQCIE a saisi elle aussi la balle, travaillant de plus à la création d’une vaste coalition des associations et organismes qui se présentent régulièrement devant la Régie, pour demander l’établissement de paramètres financiers qui permettraient l’élaboration d’une véritable réglementation incitative au Québec2. Comme vous pouvez le lire à la rubrique Quoi de neuf à la Régie du présent numéro, la réponse n’a pas été à la hauteur de nos attentes.

Les intervenants devant la Régie devront, pour l’instant, se limiter à l’analyse du MTÉR proposé par Hydro-Québec, dans l’attente d’ouvrir les discussions sur une véritable réglementation incitative.

Que dit la Loi ?

Le Projet de loi no 253 ajoute un nouvel article (48.1) à la Loi sur la Régie de l’énergie précisant les objectifs de la réglementation incitative :

La Régie établit un mécanisme de réglementation incitative assurant la réalisation de gains d’efficience par le distributeur d’électricité et le transporteur d’électricité.
Ce mécanisme doit poursuivre les objectifs suivants :

  1. l’amélioration continue de la performance et de la qualité du service;
  2. une réduction des coûts profitable à la fois aux consommateurs et, selon le cas, au distributeur ou au transporteur;
  3. l’allégement du processus par lequel sont fixés ou modifiés les tarifs du transporteur d’électricité et les tarifs du distributeur d’électricité applicables à un consommateur ou à une catégorie de consommateurs.

On voit assez bien comment une formule de plafonnement en fonction d’un paramètre externe comme l’inflation pourrait traduire ici la volonté gouvernementale en mécanisme protégeant les clients, dans la mesure où Hydro-Québec réussit à maintenir la qualité du service malgré les efforts de réduction des coûts qu’elle devrait faire.

On constate aussi pourquoi le MTÉR ne répond à aucun de ces objectifs :

  1. il ne stimule aucunement l’amélioration de la performance ou la qualité du service;
  2. il n’apporte en soi aucune réduction des coûts, car le partage des surplus n’implique nullement que ceux-ci doivent disparaître. Au contraire, il est dans l’intérêt d’Hydro-Québec d’en faire encore plus, puisqu’elle devra désormais les partager. Ces surplus provenant entièrement de leurs tarifs mais ne leur étant retournés qu’à moitié – ou moins, selon la méthode de calcul retenue, cela peut difficilement être qualifié de profitable pour les consommateurs;
  3. il n’allège en rien le processus réglementaire actuel.

De plus, en demandant à la Régie une augmentation de 3 % de son rendement autorisé, Hydro-Québec souhaite en fait capturer, à l’avance, pratiquement les tropperçus qu’elle devrait redistribuer.

Le rôle premier de la réglementation : offrir un juste prix

Le régime actuel, avec ou sans MTÉR, n’offre plus aux consommateurs le meilleur prix pour son électricité.

Un monopole a tout naturellement tendance à agir dans son intérêt, à plus forte raison s’il a pour justification d’être une source indispensable de revenus pour le gouvernement. Mais ce dernier a d’autres moyens de s’assurer de recettes et il doit maintenir les distinctions qui s’imposent entre la tarification et la taxation.

Si Hydro-Québec devait faire face à un prix fixe pour la vente de son électricité, il y a fort à parier que cela aurait aligné ses intérêts sur ceux de ses clients, les nôtres, à l’égard des nouveaux 800 MW éoliens dont ni elle, ni personne au Québec, n’ont besoin.

Les industriels, eux, ne choisissent pas le prix auquel ils vendent leurs produits. Ils le font au prix que le marché peut soutenir.

La Régie doit poursuivre sa démarche vers une réglementation optimale pour le Québec

À l’évidence, se restreindre au MTÉR est nettement insuffisant. En rejetant la demande de l’AQCIE et de la coalition, la Régie ne répond pas aux objectifs qu’entretiennent les clients et le gouvernement à l’égard de la réglementation incitative. La réflexion et le débat devront donc se poursuivre et pour cela quelqu’un doit prendre les devants et orchestrer le débat.

L’AQCIE a proposé à la Régie qu’elle joue ce rôle. Elle ne l’a pas pris et c’est une déception. Ce rôle de leadership appartient pourtant à la Régie et ce n’est pas une bonne approche de forcer Hydro-Québec à jouer ce rôle.

Le résultat n’en sera que meilleur si le processus pour se rendre à la réglementation incitative est mené par le gouvernement et par un organisme compétent et indépendant comme la Régie de l’énergie. La société d’État doit évidemment participer à la discussion, faire valoir son point de vue, mais elle ne peut être juge et partie.

Personnellement, je ne connais aucune juridiction où un tel mécanisme ait été mis en place sans un climat de collaboration que seul un tiers impartial, comme la Régie, peut instituer. Elle semble avoir raté la première chance de tenir un débat ouvert, éclairé et expert sur la réglementation incitative. La porte n’est pas fermée et sa rigueur passée laisse espérer qu’elle peut saisir rapidement le flambeau pour lancer elle-même un processus digne de ce nom. finNotes

1. Réglementation incitative : un reflet essentiel de l’économie de marché, L’Énergique Volume 16, numéro 2, Juin 2012, pp. 6-7

2. Voir le communiqué du 27 mars de l’AQCIE :Requête pour le lancement immédiat des discussions sur la réglementation incitative des tarifs de l’électricité

3. Loi concernant principalement la mise en œuvre de certaines dispositions du discours sur le budget du 20 novembre 2012

Notes

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