| Maîtriser notre avenir énergétique Survol du rapport de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec Par Luc Boulanger Directeur exécutif, AQCIE |
| | Diffusé par les médias avant son heure, le volumineux rapport de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec1 (la Commission) a d’abord frappé par sa recommandation de stopper les achats d’énergie éolienne additionnels et la construction des prochaines phases du complexe hydroélectrique la Romaine. L’accueil glacial réservé à ces propositions par l’ancien gouvernement indique combien l’évidence de ces mesures, en période de surplus importants et prolongés d’électricité, se perd lorsqu’on les considère depuis le parlement du Québec ou le siège social d’Hydro-Québec. Comme l’on si attendait, un fort biais environnemental teinte certaines orientations du rapport, ce qui ne permet pas toujours d’aller à l’essentiel sous le volet de l’énergie ou du développement économique que doit aussi assurer la prochaine stratégie énergétique du Québec. L’AQCIE et ses membres ont hâte de voir l’interprétation qu’en fera la nouvelle équipe gouvernementale. Et nous tenons à l’assurer de notre contribution positive aux étapes qui séparent ce rapport de la future stratégie énergétique. Nous avons trouvé dans ce document une plus grande sensibilité aux priorités des industriels établis au Québec que le document de consultation, ou les audiences elles-mêmes, ne le laissaient espérer. Il y a aussi sujet à d’importantes préoccupations. Il ne saurait être question d’en faire ici une analyse exhaustive, mais nous souhaitons vous présenter certaines réflexions que le rapport nous inspire sur deux grands aspects : l’électricité et la gouvernance. Électricité Juguler les surplus d’approvisionnement La Commission conclut que le Québec, à l’instar du reste de l’Occident, arrive à un plafond en matière de consommation d’énergie. L’avenir du secteur ne passe plus par la construction d’infrastructures pour faire face à une demande toujours croissante, mais plutôt par une optimisation, notamment par l’efficacité énergétique. Comme nous l’avons vu plus haut, elle reconnaît le caractère non-économique du développement de nouvelles infrastructures de production, tant pour Hydro-Québec Distribution que pour Hydro-Québec Production, à la lumière des bas prix offerts sur les marchés d’exportation, ce qui justifie sa recommandation 412 : « Que le gouvernement et Hydro-Québec agissent immédiatement pour cesser tout ajout de capacité de production d’électricité. » Les figures 16.3 et 16.43 du rapport sont très éloquentes sur la nature des surplus d’électricité du Québec et sur les coûts faramineux qu’ils représentent : L’AQCIE a clairement fait connaître sa position, notamment dans le dossier R-3866-2013 devant la Régie de l’énergie s’opposant à l’appel d’offres de 450 MW additionnels d’énergie éolienne. La Commission souligne d’ailleurs clairement que « le rôle premier du gouvernement n’est pas de créer des industries mais bien de mettre en place des orientations structurées et une réglementation facilitant un développement économique durable et profitable pour toutes les régions du Québec.4 » Pas étonnant alors que la Commission recommande deux mesures avec lesquelles nous sommes en accord : limiter les subventions à la production, d’une part, et veiller à ce que le prix de l’énergie soit le plus bas possible. Un PASO pas sot À la suite des nombreuses représentations des industriels lors des audiences, la Commission suggère de revoir la stratégie industrielle du Québec à la lumière des conditions offertes ailleurs dans le monde. Elle reconnaît aussi que « pour soutenir les activités économiques existantes, le Québec doit continuer à offrir la tarification la plus stable possible, en tenant compte des conditions de marché et des retombées économiques de chaque industrie.5 » Bien qu’elle soit de portée géographique limitée, la Commission propose une référence externe pour déterminer le prix des nouveaux approvisionnements d’Hydro-Québec : le Prix d’achat fixe selon les opportunités du marché (PASO). Fondé sur le prix payé pour l’électricité québécoise sur les marchés d’exportation en période hors pointe au cours de l’année précédente, celui-ci se situerait à environ 3¢/kWh actuellement. Cette référence externe, qui vaut surtout en période de surplus importants, montre toute l’ampleur de la subvention qu’offrent Hydro-Québec et le gouvernement en proposant des appels d’offres à 9,5 ¢/kWh pour de l’énergie éolienne qui ne répond à aucun besoin. Afin de tenir les clients d’Hydro-Québec Distribution indemnes de cette situation, la Commission recommande (41.3) que les nouveaux contrats garantis d’achat d’énergie renouvelable soient plutôt contractés par Hydro-Québec Production afin que le risque en soit attribué au gouvernement. Le PASO devient une référence très utile, mais perfectible, car l’on pourrait utiliser comme référence l’année en cours, plutôt que la précédente, sur la base des prix réels et prévus sur les marchés. La Commission suggère aussi, dans sa recommandation 43 « Que la politique industrielle du Québec soit ajustée au nouveau contexte énergétique se basant sur la disponibilité de surplus, dont le marché est au PASO, et non plus sur le développement de nouvelles capacités de production d’électricité6 ». Cette approche valide l’offre de contrats d’approvisionnement en électricité à partage de risques, comme elle l’évoque dans sa recommandation 43.17 qui seraient d’un ordre de grandeur comparable à l’actuel PASO. À l’égard des nouvelles implantations, la Commission suggère également des propositions de cet ordre, bien que la période d’application des tarifs réduits, de 3 à 8 ans, nous semble insuffisante pour attirer de nouvelles implantations d’envergure. Interconnexions Bien qu’elle questionne la rentabilité des nouveaux projets d’interconnexion avec les États-Unis, la Commission n’en suggère pas moins (46.1) : « Que soient complétés les projets d’interconnexion avec les réseaux américains afin d’augmenter les ventes rentables en période de pointe.8 » L’AQCIE ne partage pas cet optimisme, puisqu’il ne saurait être question d’amortir de telles interconnexions qu’en exportant pendant les périodes de pointe. Si elles se réalisent, la rentabilisation de ces interconnexions exigera que l’on exporte tout autant pendant les périodes hors pointe, alors que leur amortissement pourrait faire baisser les prix unitaires à des niveaux même inférieurs au PASO. C’est pourquoi, avant de considérer de nouvelles interconnexions, il est essentiel de rechercher auparavant à dynamiser la structure industrielle du Québec en offrant aux industriels actifs au Québec, ou intéressés à la devenir, nos TWh excédentaires à des prix vraiment concurrentiels. Tarif patrimonial et interfinancement La Commission suggère tout bonnement au gouvernement d’augmenter la redevance hydraulique ou le tarif patrimonial (43.3) s’il « estime opportun d’augmenter les revenus d’Hydro-Québec9 ». Comment, au contrair,e le gouvernement pourrait-il ne pas trouver cela opportun ? Pis encore, la Commission suggère de le faire sans « interfinancement », visant par là l’exonération qu’ont obtenu les grands industriels de l’indexation récente du tarif patrimonial. Cette approche a pour avantage de ne pas prendre la Régie de l’énergie en otage, comme le fait la mesure transitoire imposée dans la Loi 25 pour saisir les gains d’efficience demandés à Hydro-Québec. Mais, sous péril de voir disparaître la prévisibilité des tarifs d’électricité et avec elle les investissements à long terme des grands industriels qui en dépendent, le gouvernement ne peut à tout venant agir sur la redevance hydraulique ou sur le tarif patrimonial. Quant à l’interfinancement, avant de s’avancer sur ce terrain il faudrait au préalable éliminer celui de 250 millions $ par année que versent les industriels aux clients résidentiels. Ensuite, il faudra réaliser que l’exonération de l’indexation du tarif patrimonial n’est pas un cadeau fait aux grands industriels, mais une compensation partielle de la perte de compétitivité du tarif de grande puissance, ou L. C’est donc à juste titre que la Commission « considère que tout changement à l’interfinancement et à la progressivité des tarifs exige un débat portant spécifiquement sur ces enjeux.10 » Électrification des transports L’AQCIE ne peut se rallier à la recommandation 44.2 par laquelle la Commission suggère « qu’Hydro-Québec Distribution puisse inclure dans ses actifs les infrastructures reliées à l’électrification des transports11 ». Car ces infrastructures viendraient s’ajouter à la base de tarification, sans assurance qu’Hydro-Québec Distribution en retire des revenus suffisants pour les amortir. Puisqu’il s’agit-là d’un risque, en toute logique et selon sa recommandation 41.3, il s’agit là aussi d’un risque dont les clients du Distributeur devraient être tenus indemnes, en le faisant porter par Hydro-Québec Production et le gouvernement. Gouvernance Société d’état pour la maîtrise de l’énergie (SMEQ) La Commission accorde une grande importance à la gouvernance. Si l’AQCIE la suit dans cette voie, la proposition maîtresse de la Commissions à cet égard, la création de la SMEQ, ne nous semble pas une nécessité. Les structures ne manquent surtout pas dans les différents ministères et au gouvernement du Québec et la solution ne peut être d’en créer constamment de nouvelles. Si tant est qu’elle devrait voir le jour, rien n’est moins évident qu’on doive lui allouer 600 millions $12, dont plus de 400 nouveaux millions $ à prélever auprès des utilisateurs de combustibles fossiles qui sont, ne l’oublions pas, toujours les mêmes contribuables. À l’évidence, ne pas créer la SMEQ ferait un grand trou dans la proposition de la Commission. C’est là l’inconvénient d’avoir mis autant d’œufs dans un panier qui n’existe pas. Mais ce n’est pas une raison suffisante pour se lancer dans pareille aventure. Il y a lieu de se demander si une meilleure coordination des instances existantes, ou à la limite une nouvelle structure légère et essentiellement décisionnelle, ne pourraient pas atteindre à moindre coût les objectifs ambitieux que la Commission lui voue dans son rapport. Ainsi, une SMEQ allégée, pourrait d’abord intégrer les fonctions du Bureau de l’efficacité et de l’innovation énergétiques (BEIÉ), fonctions qui gagneraient à se distancer des impératifs quotidiens du ministère des Ressources naturelles. Cette SMEQ allégée pourrait travailler de pair avec une autre structure que propose de créer la Commission, le Comité ministériel pour la maîtrise de l’énergie (CMEQ), dont la mission consisterait à définir des objectifs globaux pour le Québec en matière d’énergie et à assurer la cohérence entre les divers ministères. La nouvelle SMEQ aurait ainsi l’occasion de faire ses preuves et d’occuper légitimement l’espace qui lui serait dévolu, quitte à prendre de l’ampleur une fois démontrées sa pertinence et ses capacités. Régie de l’énergie La Commission recommande un rôle beaucoup plus vaste pour la Régie de l’énergie et nous la suivons dans cette recommandation. En fait, certaines des missions qu’elle propose d’ajouter aux attributions de la Régie, comme la collecte d’information et l’éducation de la population, recoupent celles que la Commission accordait à la SMEQ. Raison de plus pour ne considérer qu’une version allégée de la SMEQ, afin d’éviter les dédoublements. Comme nous le disions plus haut, l’AQCIE est d’avis qu’il y a avantage à renforcer les structures ayant fait leur preuve plutôt que d’en créer de nouvelles. La Commission recommande que la Régie soit aussi responsable de l’approbation des centrales d’Hydro-Québec Production, nous la suivons là aussi, et qu’elle soit active de façon plus large dans les débats énergétiques, notamment par la voie d’enquêtes et d’audiences qui pourraient être tenues à la suite de pétitions de la population. La transparence et la participation citoyenne étant des valeurs importantes cette nouvelle avenue est intéressante, dans la mesure où les pétitions soient d’envergure (la Commission suggère 10 000 noms) et que la Régie puisse aussi présenter un refus motivé, sans avoir nécessairement à tenir une audience pour chaque pétition remise. La recommandation de permettre des représentations sans avocats devant la Régie participe de cette même philosophie d’ouverture. Il faut cependant que cette mesure s’accorde aux efforts de simplification des procédures amorcées depuis quelques années par la Régie. Dans la mesure où les intervenants doivent toujours répondre aux critères de pertinence et d’intérêt public de la Régie, il y a place à certains aménagements et à précision, par l’expérience pratique, de la latitude qui pourra être accordée aux représentations sans avocats La Commission recommande également des mesures pour assurer une plus grande indépendance à la Régie et à ses régisseurs. Elle suggère une nomination pour une période de cinq ans renouvelable une seule fois. L’AQCIE partage cet avis, tout en suggérant que l’on considère plutôt des mandats de 7 ans, renouvelables une fois, comme à l’Office national de l’énergie. En page 203, la Commission suggère que « La ministre des Ressources naturelles aurait la responsabilité de présider le Comité ministériel pour la maîtrise de l’énergie. Elle serait aussi l’ultime responsable d’Hydro-Québec, de la Régie de l’énergie et de la Société pour la maîtrise de l’énergie du Québec. » Puisque cela concentrerait tous les pouvoirs entre les mains d’une même personne, et que cela serait tout à fait contraire au maintien de l’indépendance de la Régie de l’énergie et de la SMEQ, affirmée par ailleurs au paragraphe suivant, nous préférons croire qu’il s’agit là d’une erreur de rédaction plutôt que d’une intention réelle. - Maîtriser notre avenir énergétique pour le bénéfice économique, environnemental et social de tous, Commission sur les enjeux énergétiques du Québec, Roger Lanoue, Normand Mousseau, Coprésidents, Gouvernement du Québec, Février 2014, 308 pages
- Op. cit. p.231
- Op. cit. pp. 183-184
- Op. Cit. p.55
- Op. Cit. p. 188
- Op. Cit. p. 191
- Op. cit. 191
- Op. cit 192
- Op. cit 191
- Op. cit. p. 188
- Op.cit p. 191
- Op. cit., tableau p. 25.
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