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Mécanisme de réglementation incitative (MRI)
Vers une façon plus efficace d’établir les tarifs d’électricité
Par Luc Boulanger
Directeur exécutif, AQCIE |
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Le défi d’établir un prix juste et équitable pour les services rendus par des entreprises qui exercent leurs activités dans un environnement monopolistique n’est pas une mince affaire. En effet, il faut trouver des moyens pour émuler les conditions qui prévalent dans un libre marché, où la concurrence est omniprésente. Ce jeu de la compétition mène inévitablement les compagnies à offrir le meilleur prix pour un produit de même qualité, dans l’optique d’accaparer les meilleures parts de marché. Ainsi, l’entreprise doit constamment innover en tentant de différencier son produit, tout en trouvant les bonnes façons de faire pour produire à coûts moindres et protéger sa marge bénéficiaire.
Les entreprises réglementées sont donc assujetties à un encadrement réglementaire qui vise à la fois à autoriser un rendement raisonnable sur le capital investi et à offrir des prix qui sont justes et raisonnables aux consommateurs captifs. La façon traditionnelle d’atteindre cet objectif consiste à établir le revenu requis pour l’ensemble des activités du monopole, ce qui permet de récupérer toutes les dépenses encourues pour produire le service et assurer un rendement raisonnable sur le capital investi. Ce revenu requis donne lieu par la suite à l’établissement des tarifs qui sont chargés aux consommateurs.
Au Québec, La Régie de l’énergie constitue le tribunal quasi judiciaire chargé de cette tâche. Les prix sont établis de façon prospective, soit sur des prévisions pour l’année tarifaire à venir. Celles-ci sont étayées à partir de l’étude de données financières chiffrées pour les années courante et antérieure. Les renseignements sont évidemment fournis par l’entreprise réglementée et un exercice de contre-expertise de ces informations doit être effectué pour en assurer la validité.
Démystifier le vrai du saupoudrage
Une des grandes difficultés de cette façon de faire réside dans l’asymétrie de l’information. L’entreprise réglementée, qui a une connaissance rigoureuse de son domaine, présente les données financières qui seront validées. Ces informations sont évidemment communiquées de façon à favoriser son point de vue. C’est à la Régie de l’énergie et aux intervenants d’en questionner le bien-fondé. Il s’agit du jeu du chat et de la souris pour découvrir où se retrouve le saupoudrage dans le budget prospectif. Pour Hydro-Québec Distribution, une déviation de 0,1 % équivaut à 11 millions de dollars, les revenus attendus étant de 11 milliards de dollars. De l’ordre de 1,2 milliard de dollars, les trop perçus réalisés aux cours des dernières années indiquent sans l’ombre d’un doute les faiblesses du mode traditionnel de réglementation.
Une autre difficulté réside dans le fait que l’actionnaire d’Hydro Québec est le ministère des Finances du Québec. Les régisseurs sont nommés par le gouvernement du Québec, et contrairement aux juges, ils ne sont pas amovibles. Avec égard, il doit être bien difficile de rendre une décision qui a pour effet de réduire les revenus du gouvernement et de contrecarrer ses objectifs de financement. Plus les coupures sont importantes, plus grande est la difficulté d’en décider l’application.
Nous reconnaissons tout de même les efforts qui sont actuellement déployés pour améliorer le processus de nomination. À cet effet, dans la présente édition, nous vous invitons à prendre connaissance du contenu d’une entrevue que l’Énergique a menée avec Me Louis Legault, directeur des Services juridiques à la Régie.
Finalement, les gains de productivité n’étant pas directement rémunérés par le modèle traditionnel de réglementation, ils n’offrent que peu d’intérêt à être poursuivis agressivement par l’entreprise réglementée, sinon pour complaire aux objectifs mis de l’avant par la Régie dans l’intérêt des consommateurs. Dans un monde concurrentiel, une compagnie qui négligerait d’améliorer ses processus ne pourrait pas assurer un rendement adéquat à ses actionnaires et survivre à long terme.
Plus-value d’un MRI
La poursuite d’une gestion innovatrice et efficace devient une nécessité intrinsèque pour l’entreprise réglementée dans un mécanisme de rendement incitatif. Quant aux augmentations de revenu, elles seraient limitées à des facteurs d’indexation comme l’indice des prix à la consommation, alors que les gains d’efficience réalisés seraient au profit de l’actionnaire. La notion de contrôle sur les coûts inhérents d’une activité devient centrale au débat et la mécanique doit prévoir certaines exclusions concernant le calcul d’indexation. On réfère généralement à ces exclusions en les qualifiant de facteur Y ou Z pour des événements de nature fortuite et liés à de l’imprévisibilité.
L’établissement d’un mécanisme de réglementation incitative (MRI) s’effectuera donc en trois phases. La première consistera à définir les caractéristiques d’un tel mécanisme, en identifiant les éléments qui sont sujets à la formule d’indexation et ceux qui en sont exclus. Suivra en deuxième lieu une étude pour établir un facteur de productivité, lequel facteur a une incidence sur la formule d’indexation en faveur des entreprises réglementées. S’ajoutera, enfin, l’étude d’une proposition de MRI.
Les caractéristiques propres au Distributeur et au Transporteur seront déterminées séparément, à la suite d’audiences orales spécifiques à chacun, audiences qui ont d’ailleurs déjà eu lieu. La Régie rendait sa décision dans le cas du Distributeur le 7 avril dernier et nous sommes toujours en attente de celle relative au Transporteur.
Portée réduite de la proposition d’Hydro-Québec
Dans une décision rendue dans un dossier concernant Gaz Métro sur le mécanisme de traitement des écarts de rendement (MTER) en 2013, la Régie considérait que le risque associé à une réglementation sur la base des coûts est généralement inférieur à celui lié à une réglementation incitative. C’est donc sans surprise que l’approche retenue par Hydro Québec dans ces deux dossiers a été de réduire la portée de ce mécanisme, à un point tel que la mécanique proposée ne différait guère d’une réglementation traditionnelle basée sur les coûts.
Ainsi, la portée de la formule d’indexation proposée par le Distributeur ne compte que pour 59,4 % des coûts de distribution ou 14 % du revenu attendu. Quant au Transporteur, ce dernier propose une formule qui ne compte que pour 11 % du revenu requis et présente un nouveau facteur d’exclusion, le facteur «P». Celui-ci a trait à des ajustements pour l’entretien lié à la pérennité, notion qui n’a aucun précédent dans les juridictions qui ont considéré des mécanismes de rendement incitatif.
Dans sa décision du 7 avril dernier, la Régie ne retenait pas la proposition du Distributeur d’exclure de la formule d’indexation l’amortissement et le rendement sur la base de tarification, jugeant que l’évolution de ces
postes combinés est suffisamment prévisible et raisonnablement sous contrôle du Distributeur. Ceci a pour effet d’augmenter la portion des coûts de distribution à plus de 83 % et à près de 20 % du revenu attendu.
Conscient du précédent de cette décision, le Transporteur a présenté tout un argumentaire avec preuve d’experts à l’appui, alléguant que son réseau est efficient et diffère de celui des autres transporteurs et que sa structure de coûts est différente de celle du Distributeur. Le témoignage de notre expert, le Dr Mark Lowry en audience, démontre que tel n’est pas le cas.
Caractéristiques du MRI
Les caractéristiques du MRI applicable au Distributeur ont donc été déterminées par la Régie dans sa décision du 7 avril dernier et nous sommes en attente d’une décision pour ce qui est celui du Transporteur.
Parmi les exclusions du calcul d’indexation, on retrouve notamment les achats d’électricité (qui compte pour 50 % du revenu requis), les charges liées au service de transport (qui compte pour 25 % du revenu requis), les dépenses capitalisables pour les interventions en efficacité énergétique et, possiblement, certains comptes de frais reportés.
Finalement, la formule d’indexation comprendra les charges d’exploitation sous le contrôle de gestion du Distributeur : taxes et frais corporatifs, l’amortissement des actifs en service et rendement sur la base de tarification, les coûts des comptes de retraite et ceux de combustible.
Quant au facteur de productivité, la Régie juge quelle pourra le déterminer dans un premier temps à partir des études sur la question qui existent déjà. Les coûts inhérents à la poursuite d’une étude de productivité multifactorielle sont jugés trop élevés et viennent entraver l’échéancier pour la mise en place du MRI. La Régie réserve sa décision d’y recourir ultérieurement, si nécessaire, en cours d’application du mécanisme.
Satisfaits des résultats
Somme toute, les industriels sont satisfaits des résultats des travaux de cette première phase. L’introduction d’un mécanisme de rendement incitatif est un tournant majeur dans l’exercice de régulation économique et cette transition ne peut se faire abruptement. Selon l’opinion de notre expert, les modalités retenues sont en ligne avec ce qui a été fait dans les juridictions qui ont introduit de tels mécanismes.
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