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Stopper le déclin de l’industrie lourde au Québec ?
Le point sur les incitatifs gouvernementaux
Par Jean Matuszewski
Économiste et président, E&B DATA |
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Le Québec est une des rares régions parmi les économies avancées qui a réussi à conserver un parc diversifié de production dans l’industrie lourde. Pour la plupart de ces industries au Québec, l’accès à l’énergie électrique à des conditions compétitives se plaçait parmi les premiers facteurs de localisation. Ce parc, dont l’âge moyen est de plus de 50 ans, affiche cependant un déclin net1. La nouvelle politique énergétique fournit une aide temporaire (4 ans) et bienvenue par l’industrie pour le soutien aux projets de modernisation par le biais de rabais tarifaires. Ce soutien saura-t-il renverser le déclin ? La réponse doit notamment prendre en compte les autres mesures publiques de soutien aux entreprises en lien avec leur structure de coût.
Le rêve des investissements de « classe mondiale »
La recherche de la « classe mondiale » constituait l’investissement idéal lorsque prévalait la croyance au « super-cycle » des commodités. La nouvelle usine de classe mondiale combinait en effet l’atteinte d’économies d’échelle inégalées avec l’accès à l’équipement et aux procédés les plus productifs. Dans un contexte de faiblesse prolongée du prix des matières premières, les investisseurs pour de tels projets se sont pratiquement tous retirés.
C’est ce que les administrations publiques désireuses d’attirer de tels investissements doivent maintenant constater. Ainsi au Québec, une stratégie centrée sur l’attraction de nouveaux projets d’envergure avec des congés fiscaux particulièrement longs (10 ans) et généreux n’a eu que des résultats décevants. Les projets ont été rares, d’envergure relativement réduite et certains posaient même un risque pour les établissements concurrents déjà actifs au Québec. Même si les seuils d’admissibilité ont été réduits et la période de congé fiscal allongée, les résultats ne sont pas plus probants.
L’arrêt du déclin doit donc passer par d’autres mesures que celles visant à tout prix l’attraction de nouvelles capacités de production d’envergure.
Il ne s’agit pas tant de vouloir investir que de pouvoir investir
Dans une situation de surcapacité de production mondiale dans plusieurs industries de matières premières, surcapacité accompagnée d’un niveau de profitabilité inquiétant pour plusieurs établissements, la question devient plutôt une question de choix entre les capacités de production que l’on ferme, et au contraire, celles qui méritent qu’on y réinvestisse. L’absence de réinvestissement entraîne en effet la disparition d’une capacité de production, à plus ou moins long terme. Même lorsqu’un établissement semble favorisé parce que présentant une productivité supérieure, l’accès aux capitaux requis n’est pas acquis pour autant. A cet égard, les incitatifs tels que la combinaison de crédits d’impôt à l’investissement et de l’amortissement accéléré du matériel de fabrication ou transformation favorisent à la marge les décisions d’investissement. Cependant, ces mesures en place depuis de nombreuses années au Québec ne suffisent pas à arrêter le déclin.
La recherche constante de réduction des coûts est évidemment exacerbée étant donné la faiblesse des prix. Sur quoi donc ces réductions peuvent porter ? Ces nouvelles mesures gagnent à être en phase avec l’évolution de la structure de coût des entreprises, tout au moins les coûts suceptibles de varier selon la localisation de l’entreprise (notamment l’énergie, la main-d’œuvre et le transport). À cet égard, les nouveaux incitatifs mis de l’avant dans le cadre de la politique énergétique (2016) mais aussi de la stratégie maritime (2015) sont des pas dans la bonne direction.
Prévisibilité des coûts de l’énergie
La réduction de la consommation d’électricité atteint ses limites. Les actions d’efficacité énergétique demeurent souhaitables, mais s’appliquent le plus souvent à la périphérie des activités de transformation (ex. : manutention) plutôt qu’à la transformation elle-même, là où se trouve de loin la plus grande part (80 % et plus) de la consommation énergétique d’un établissement d’une industrie grande consommatrice d’électricité. La réalité du traitement des matières premières (ex. : métaux primaires, produits chimiques) est que pour procéder à leur isolation, l’intensité énergétique (ex. : kWh/tonne) requise (ex. : pour leur fusion ou leur électrolyse) relève de facteurs physiques immuables.
Il est vrai que d’une génération de technologies de production à l’autre, des gains sont réalisés mais ces gains ont souvent un impact secondaire sur le niveau de rentabilité par rapport à l’évolution des prix des différentes sources d’énergie, prix souvent susceptibles de varier d’une région à l’autre. Dans le processus actuel de transition énergétique, la prévision des prix de l’énergie devient aussi difficile que stratégique. En effet, la prévisibilité et la stabilisation des coûts de l’énergie peuvent devenir des facteurs qui détermineront la viabilité de certains établissements, les gagnants étant ceux qui auront misé sur l’énergie dont le coût sera demeuré compétitif ou encore ceux qui se seront donné le maximum de flexibilité dans l’utilisation des différentes sources d’énergie. À ce titre, le rabais tarifaire accompagnant la nouvelle politique énergétique est un apport valable, quoique la question de la prévisibilité des tarifs à moyen terme et plus demeure entière.
Infrastructures de transport et accès compétitif aux marchés outremer
L’amélioration des capacités de transport maritime constitue un potentiel pour réduire les coûts reliés aux approvisionnements et aux livraisons vers les marchés plus éloignés. Le Québec compte contribuer à ces gains de compétitivité par des investissements dans les zones industrialo-portuaires (ZIP). Ces investissements du gouvernement provincial de 300 millions $ d’investissement public provincial (qui stimuleront vraisemblablement la participation des autres paliers de gouvernement) favoriseront les économies d’échelle et réduiront les coûts de manutention et de transport. Cette stratégie maritime encourage un mouvement naturel : c’est en effet dans les zones industrialo-portuaires que se sont réalisées les deux tiers de la valeur de l’investissement industriel lourd au Québec depuis plus de dix ans2.
Vers un redressement de la compétitivité des industries québécoises consommatrices d’électricité ?
Les améliorations constantes de productivité se constatent visiblement par la réduction continue du niveau d’emploi par rapport aux quantités produites. À tel point que la part de la masse salariale devient pour plusieurs établissements de production une part secondaire dans les coûts totaux. Combinée avec une tendance à la hausse de la rémunération dans les économies émergentes, le différentiel avec les coûts de main-d’œuvre des concurrents situés dans ces régions devient lui-même secondaire, alors qu’il n’y a pas si longtemps, les coûts de main-d’œuvre constituaient un des premiers facteurs expliquant la perte de compétitivité des usines situées dans les pays industrialisés. Le mouvement de délocalisation n’est donc pas une fatalité.
Avec un transport maritime optimisé pour l’accès aux marchés éloignés, avec un accès à une énergie propre dont certains marchés semblent commencer à reconnaitre la valeur3, avec une énergie électrique dont le prix compétitif est temporairement avantagé et dans une certaine mesure protégé de la volatilité qui affecte les autres sources d’énergies, le parc d’industries grandes consommatrices d’électricité québécois est en voie d’améliorer son positionnement compétitif.
E&B (Economic & Business) DATA est une société d’analyse économique. Ses clients se retrouvent parmi les grandes sociétés et associations industrielles, les institutions financières, les syndicats et les administrations publiques fédérales, provinciales et régionales.
- Depuis 2000, pour une nouvelle implantation, on a vu cinq fermetures définitives d’usines parmi les grandes industries consommatrices d’électricité. Source : E&B DATA.
- E&B DATA, Capex-en-ligne. Excluant les immobilisations devant être situées directement sur le site de leurs matières premières (ex : extraction minière).
- Rio Tinto obtient une surprime sur 5 à 6 % de sa production d’aluminium primaire réalisée à partir d’énergie hydraulique auprès de clients capables de valoriser cet attribut auprès de leur clientèle, notamment dans les marchés de consommation (ex. : voitures électriques).
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