| Mot du président Une nouvelle vague d’industrialisation, quel beau risque ! Par Nicolas Dalmau Président du Conseil de l’AQCIE et Directeur, Énergie et développement stratégique, Alcoa Canada |
| | AloLes économies occidentales vacillent et cherchent désespérément des façons de maintenir leur niveau de vie et d’équilibrer leurs finances publiques. Au Québec, les ressources naturelles abondantes, notamment forêt, minerais, pétrole et gaz naturel, sont souvent cités comme une panacée pouvant nous prémunir contre les soubresauts économiques planétaires. Nul doute que ces secteurs sont d’importants vecteurs de création de richesse et que le Québec doit miser sur eux. Mais l’exploitation des richesses naturelles n’est pas simple, en raison notamment de l’éloignement de la ressource, du cadre réglementaire encore à définir qui doit assurer la viabilité économique des investissements massifs que cette exploitation requiert et de l’opposition assez généralisée au Québec de groupes de pression. Nous avons aussi une autre source de richesse ici, assez exceptionnelle celle-là. Bien qu’elle ait joué un rôle historique dans le développement du Québec, on la considère plutôt ces jours-ci comme un problème, un poids, le fruit de mauvaises décisions : l’électricité! Les surplus d’électricité, une anomalie ? En commission parlementaire, le président-directeur général d’Hydro-Québec chiffrait les surplus d’électricité à 21,4 milliards de kWh, une situation qui ne devrait se résorber qu’à l’horizon de 2020. Ne pouvant plus être écoulés à bon prix sur les marchés d’exportation, notamment en raison de l’exploitation des gaz de schiste chez nos voisins du Sud, ces surplus représenteraient un coût de l’ordre de 1,5 milliard $ pour la société québécoise. D’où proviennent ces surplus ? Peut-être d’un excès de confiance sur les prix et sur les débouchés à l’exportation, mais aussi d’une demande locale, principalement industrielle, beaucoup plus faible que prévue. La crise économique mondiale de 2008-2009 qui perdure n’y est pas étrangère. Mais les surplus ne sont pas une anomalie. Ils sont tout à fait naturels dans le cas de la grande hydraulicité, une filière qui distingue le Québec puisque l’éolien et les mini-centrales peuvent se construire dans de nombreuses autres régions du monde. En effet, la mise en exploitation de grands complexes hydroélectriques apporte une surabondance d’électricité jusqu’à ce que la demande ait rattrapé l’offre, et il faut alors que d’autres complexes soient déjà en chantier pour prévoir aux besoins futurs. Or la situation de surplus actuelle pourrait fort bien ne pas être un problème. Bien peu de juridictions de par le monde ont en fait la chance d’être aux prises avec un si « beau problème ». Car cette surabondance cyclique est à l’origine de périodes de croissance inouïe au Québec. Les contrats « à partage de risque », une catastrophe ? Dans les années 1980, les contrats d’électricité « à partage de risque », que plusieurs considèrent aujourd’hui comme une catastrophe, ont permis d’attirer au Québec, sur une période de quelques années seulement, plus de 10 milliards $ d’investissements en implantation ou en expansion d’usines. Trente ans plus tard, ces industries sont toujours là1, soutenant des dizaines de milliers d’emplois et les activités socio-économiques de régions entières. Elles investissent chaque année des milliards de dollars pour maintenir et améliorer leurs installations. L’importance des investissements initiaux et récurrents des industries grandes consommatrices d’électricité font en sorte qu’elles s’installent pour des décennies. Ce que bien peu d’entreprises peuvent dire aujourd’hui. Comme catastrophe, on peut penser à pire ! La véritable catastrophe aurait été de ne pas consentir ces contrats et de laisser ces entreprises aller créer leur richesse ailleurs qu’au Québec. Autre bilan de ces terribles contrats « à partage de risque » : nous avons d’immenses ouvrages hydroélectriques aujourd’hui amortis, dont les coûts d’opération sont très bas et qui nous donnent les moyens de penser à des projets d’avenir, comme l’électrification des transports. Ce cycle : construction, exploitation, amortissement, se poursuit avec les autres grands ouvrages hydroélectriques, assurant aux Québécois une richesse durable. Pourquoi y a-t-il moins de nouvelles implantations aujourd’hui ? Assurément, le climat économique y est pour quelque chose, mais cette réponse un peu facile a le tort de servir trop souvent d’excuse. Considéré ici comme un prix plancher, voire préférentiel, le tarif grande puissance (tarif L) a perdu beaucoup de son lustre. Le gouvernement et Hydro-Québec devraient s’employer à informer nos concitoyens qu’il n’est pas un cadeau fait aux industriels et que le tarif L est non seulement rentable, mais qu’il subventionne le tarif résidentiel à hauteur de 250 millions $ par année, comme l’illustre ce graphique (cliquez sur l'image pour l'agrandir) : La perception dans le public que le tarif L est un « cadeau » aux industriels nuit à la capacité du gouvernement de tirer pleinement avantage de l’électricité disponible, en l’offrant à un prix réellement concurrentiel. Car, en fait, le tarif L se situe aujourd’hui dans le troisième quartile des prix offerts aux alumineries dans le monde. Cela veut dire, en clair, que plus de la moitié des tarifs d’électricité industriels de grande puissance lui sont aujourd’hui inférieurs et que cette proportion s’accroît. Pas besoin de s’expatrier au Moyen-Orient, de meilleurs tarifs se trouvent à nos portes, aux États-Unis. (cliquez sur l'image pour l'agrandir) Et lorsque l’on considère les entrées de fonds pour le Québec associées à l’utilisation de l’électricité par les industries grandes consommatrices d'électricité, on s’aperçoit qu’elles atteignent plus de 16 cents du kWh. Près de quatre fois plus que ce que l’on peut retirer de l’exportation, et nettement plus que le coût marginal de production de l’électricité. Il existe donc une importante marge pour consentir des contrats à prix concurrentiel. (cliquez sur l'image pour l'agrandir) Transformer les surplus d’électricité en surplus de croissance Il était rafraîchissant d’entendre la première ministre dire, à Davos, qu’elle ne « voyait pas négativement les surplus d’Hydro-Québec », que « ces surplus sont disponibles pour attirer au Québec des investissements » et qu’il s’agit « d’un avantage comparatif dont on doit se servir ». Nous sommes tout à fait de cet avis. Cependant, nous sommes aussi persuadés que le tarif L est insuffisant pour que les entreprises répondent à l’invitation de Mme Marois. Ce tarif est disponible depuis plusieurs années, sous certaines conditions. Force est de constater qu’on ne se bouscule pas au tourniquet pour lancer des projets d’investissements. Le Québec a une occasion historique de briser la morosité actuelle et de lancer une nouvelle vague d’industrialisation, et plus verte que la précédente aussi, puisque les technologies ont grandement évolué. Une nouvelle vague d’industrialisation qui nous profitera d’autant plus dans quelques années, alors que la reprise mondiale se sera affermie. Mais pour cela, il faut savoir oser octroyer des blocs d’électricité à des conditions qui permettent l’implantation de nouvelles industries et l’ajout de capacité aux industries existantes. Le Québec tout entier, et particulièrement ses régions, en profiteront pendant des décennies. C’est le temps, maintenant, de permettre au Québec d’aller chercher sa part du gâteau, et pourquoi pas un peu plus, en favorisant cette nouvelle phase d’industrialisation. Disposer d’un surplus d’une énergie propre et renouvelable, cela ne peut être un problème que si nous n’avons ni la créativité, ni le sens de l’entrepreneuriat nécessaires pour en tirer profit. 1. À la seule exception de Norsk Hydro, usine de fabrication de magnésium primaire établie à Bécancour, qui a fermé ses portes en 2008, après 19 ans d’activité, le prix du magnésium étant devenu insoutenable à la suite de mesures de dumping exercées par des entreprises chinoises. Retour au sommaire › |