| Deuxième partie : Projet de loi 25 et amendements Par Luc Boulanger Directeur exécutif, AQCIE Avec la collaboration d’Olivier Charest, analyste pour l’AQCIE et le CIFQ |
| | Les droits et prérogatives de la Régie de l’énergie, les principes de la séparation fonctionnelle d’Hydro-Québec et l’intérêt de ses clients sont mis à mal par l’actuel projet de Loi 25 (PL25) et les amendements déposés le 7 juin dernier par le ministre des finances. En effet, dès le dépôt du Budget 2013-14, le ministre annonçait une « mesure transitoire » par laquelle il cherchait à s’accaparer des gains d’efficience générés par les coupures de postes chez Hydro-Québec en maintenant à un niveau artificiellement élevé le montant retenu à titre de charges d’exploitation pour les tarifs d’HQT et HQD. Ceci permettrait de compenser Hydro-Québec (et son actionnaire) pour le manque-à-gagner occasionné par la diminution des prix sur les marchés d’exportation. Nous avons pu souligner dans l’Article sur la Régie de l’énergie du présent dossier que c’était notamment pour éviter ce type de manœuvre qu’un autre gouvernement du Parti Québécois avait séparé HQD et HQP en l’an 2000, par la Loi 116. Il est indiqué au PL25 que la « mesure transitoire » restera en vigueur tant que la Régie ne sera pas passée à la réglementation incitative des tarifs d’HQT et HQD. Ceci permet donc d’espérer que cette ingérence dans les affaires de la Régie soit réellement transitoire et que les consommateurs puissent ensuite profiter, d’ici un an ou deux, de ces gains d’efficience exigés d’Hydro-Québec. À l’origine, le gouvernement entendait aussi se donner le droit d’intervenir dans l’élaboration des mécanismes de réglementation incitative. Voir à ce sujet l’article 2 du projet de loi, qui vise à ajouter l’article 48.1 (voir ci-bas) à la Loi sur la Régie de l’énergie (LRÉ). La disposition en question – un véritable chèque en blanc – constituait le paragraphe 4 de ce nouvel article, qui a été retiré à la demande de l’opposition, faisant écho au mémoire déposé par l’AQCIE1: «48.1. La Régie établit un mécanisme de réglementation incitative assurant la réalisation de gains d’efficience par le distributeur d’électricité et le transporteur d’électricité. Ce mécanisme doit poursuivre les objectifs suivants : 1° l’amélioration continue de la performance et de la qualité du service; 2° une réduction des coûts profitable à la fois aux consommateurs et au transporteur ou, selon le cas, au distributeur; 3° l’allégement du processus par lequel sont fixés ou modifiés le tarif de transport d’électricité et celui applicable par le distributeur d’électricité à un consommateur; 4° tout autre objectif déterminé par le gouvernement. » Sur ce quatrième paragraphe que le gouvernement cherchait à insérer dans le nouvel article 48.1 de la LRÉ, et sur les articles 6 et 7 du projet de loi qui fixaient les charges d’exploitation de l’année 2013, le porte-parole de l’opposition officielle en matière de finances, Raymond Bachand, disait ceci devant l’Assemblée nationale le 13 juin 2013 : « Le gouvernement a dû retirer cette section-là, et donc le pouvoir de la Régie est maintenant intact, sauf pour une période transitoire. Le gouvernement a dû reculer et enlever les cibles financières qu’il avait aussi mises dans son budget; il les a enlevées, la Régie avait déclaré ça illégal l’an dernier et avait mis d’autres cibles. Le gouvernement les enlève et le gouvernement se donne le pouvoir pour l’année 2014, au fond, jusqu’à ce que la régie l’établisse, le mécanisme... Si ce n’est pas établi pour 2014, le gouvernement pourra établir une cible, mais après ça, ce pouvoir-là disparaît, Mme la Présidente. Et donc on a protégé, comme opposition, l’indépendance de la Régie de l’énergie. Et ça, on pense que c’est très, très important. » En fait, le député Bachand a su rappeler le gouvernement à l’ordre à plusieurs reprises lors de l’étude des dispositions du PL25. Il en a été de même à l’égard des amendements déposés par le gouvernement le 7 juin, qui usurpaient de fait d’autres pouvoirs à la Régie, en imposant des charges additionnelles à HQD. Ces changements auraient eu des impacts importants sur la réglementation et se seraient traduits en hausse des tarifs. Bien que le gouvernement ait été contraint par l’opposition de retirer ces amendements, il a promis de revenir à la charge. Les mesures, dont nous discutons dans les paragraphes qui suivent, pourraient donc être débattues cet automne. Une première mesure prévue à ces amendements2 visait à financer l’électrification des transports en commun par les tarifs d’électricité. Comme c’était le cas avec les blocs d’énergie (biomasse, éolien, etc.), nous ne sommes pas contre le principe : il peut être opportun pour le gouvernement d’investir dans l’électrification des transports en commun lorsque cela se fait sur la base d’études sérieuses; mais nous ne voyons pas en quoi les consommateurs d’électricité devraient en faire les frais, d’autant plus qu’ici aussi, le gouvernement voulait se donner un chèque en blanc puisque la disposition proposée ne prévoyait aucune limite au montant de l’aide financière accordée. S’il s’engage dans cette voie, le gouvernement ne sera-t-il pas tenté par la suite d’ajouter d’autres dépenses dans les tarifs d’électricité ? Va-t-on financer les routes, les CPE, le système de santé avec ces tarifs ? Ne devrait-on pas plutôt se servir du Fonds vert pour financer l’électrification des transports, dans lequel seront versées les sommes recueillies par le gouvernement en lien avec son Système de plafonnement et d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre ? Une deuxième série d’amendements visait à restreindre la marge de manœuvre d’HQD en matière de gestion de ses surplus, aux dépens des consommateurs, afin d’accroître celle d’HQP – et, ainsi, le bénéfice réalisé par la société d’État. C’est ainsi qu’HQD aurait perdu le droit d’écouler ses surplus sur les marchés américains, ce qui, en fonction des calculs présentés par le gouvernement, aurait permis à HQP de toucher 86 M$ de plus. HQD aurait aussi perdu le droit de différer des livraisons d’énergie, une option qu’elle a négocié et obtenu de son cocontractant (HQP) en 2008 et 2010. À ce sujet, le ministre des finances a mentionné à tort en commission parlementaire, le 11 juin 2013, qu’une telle restriction n’aurait aucun impact sur les tarifs d’HQD. Cette conclusion apparaissait aussi dans un document du gouvernement portant sur ces amendements. Or, cette conclusion est erronée : l’avantage gagné par HQP entraîne inévitablement une perte pour HQD et ses clients. En ne tenant compte que du droit de différer, ce sont déjà 60 M$ qu’HQP arrive à soutirer des clients d’HQD. Un dernier amendement proposé par le ministre des finances visait à offrir au gouvernement le pouvoir de forcer HQD à acquérir des blocs d’énergie et certains services accessoires (l’intégration éolienne) sans passer par appel d’offres. Le gouvernement souhaitait ainsi forcer HQD à acheter les 200 MW de capacité éolienne qu’il a réservés à HQP lors de son annonce des 800 MW, libérant du même coup un peu plus d’un demi-TWh d’électricité patrimoniale. Le gouvernement souhaitait aussi pouvoir octroyer certains contrats à des communautés ou régions spécifiques, même s’il ne s’agissait pas des plus bas soumissionnaires. Enfin, le gouvernement pourrait aussi être tenté de reconduire l’actuelle entente d’intégration éolienne par laquelle HQD se retrouve obligée d’acheter à très haut prix de l’électricité dont elle n’a pas besoin. L’automne pourrait donc s’annoncer chaud, si le gouvernement persiste à brouiller les distinctions entre la tarification et la taxation. 1. Les critères essentiels à l’essor économique du Québec : des tarifs d’électricité compétitifs, stables, prévisibles et flexibles. Mémoire présenté par l’AQCIE dans le cadre de l’étude par la commission des finances publiques du projet de Loi 25. Mars 2013. 2. Nouveaux articles 0.1 et 2.1 du PL25 qui auraient respectivement (i) ajouté l’article 39.0.1 à la Loi sur Hydro-Québec, permettant à la société d’État d’accorder de l’aide financière à des projets d’électrification des transports en commun, et (ii) modifié l’article 52.1 de la LRÉ afin de prévoir que la Régie doive tenir compte de ces montants lorsqu’elle établit les tarifs d’électricité. Retour au sommaire ›
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