Hiver 2014-2015  
VOLUME 8 | NUMERO 3  
 

 
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Shahrzad Rahbar


Vers un nouveau paysage énergétique continental



Par Shahrzad Rahbar

présidente,
Association des consommateurs industriels de gaz, (ACIG)

L’Association des Consommateurs Industriels de Gaz (l’ACIG) est active depuis plus de 40 ans et ses membres sont parmi les grandes industries du Québec et de l’Ontario. Leur consommation de gaz naturel excède 100 Pétajoules (environ 100 Bcf1), ce qui équivaut à environ la moitié de la consommation totale de gaz naturel au Québec..

Plusieurs membres de l’ACIG sont également actifs auprès de l’AQCIE et contribuent au soutien de l’économie du Québec. Au Québec seulement, les membres de l’ACIG injectent collectivement plus de 7,5 milliards de dollars par année dans l’économie québécoise et soutiennent plus de 20 000 emplois directs.

L’accès à un approvisionnement en gaz naturel fiable et à prix compétitif leur est essentiel puisqu’ils compétitionnent tant sur la scène internationale qu’au sein de leur propres entreprises.

S’adapter au nouveau paysage énergétique – une nécessité

Le marché nord-américain de l’énergie connaît présentement de profonds changements qui se répercutent sur les mouvements de gaz naturel, leurs prix et leur capacité à atteindre les zones de consommation. La compétitivité des consommateurs industriels de l’est du Canada en est particulièrement affectée.

Ces changements sont porteurs d’opportunités significatives telles que la diversité de l’offre, l’amélioration de la fiabilité des approvisionnements et ultimement des coûts moindre pour les consommateurs de gaz naturel au Québec.

Approvisionnement

La production de gaz de schiste a changé la donne sur tout le continent, repositionnant le gaz naturel comme une source d’énergie abondante et fiable pour le futur. Ce nouvel approvisionnement fait en sorte que les réserves prouvées et disponibles ont considérablement augmenté. L’impact pour l’Est canadien est bouleversant. Le gaz naturel conventionnel provenant du Bassin sédimentaire de l’Ouest canadien, qui a répondu à la demande depuis plus de cinquante ans, arrive à maturité et est en déclin. Au même moment, la demande intra-Albertaine pour le développement des sables bitumineux a augmenté de façon considérable et continuera de croître, diminuant d’autant l’apport disponible pour les marchés de l’Est canadien. La récente montée de la production de gaz de schiste dans la formation Marcellus, située au sud des Grands Lacs, permet de pallier à la réduction et constitue une ressource économiquement attrayante.

Transport et entreposage

En raison du déplacement de la production, les besoins de transport et d’entreposage sont également affectés sur tout le continent. Au Canada, les pipelines qui, jusqu’à maintenant, acheminaient le gaz naturel de l’Ouest canadien vers les marchés de l’Est sont largement sous-utilisés. En conséquence, TransCanada se doit de développer des stratégies aux fins de minimiser les coûts associés aux actifs échoués tout en préservant l’intégrité de sa situation financière et ce, dans un contexte où de nouveaux projets émergent pour acheminer la production de Marcellus vers les marchés.

Pour continuer à satisfaire les besoins des consommateurs de l’Est canadien sur les horizons de court et moyen termes, il devient nécessaire de procéder au renforcement des installations existantes et même à la construction de nouvelles, afin d’acheminer la production de Marcellus vers les marchés du Québec et de l’Ontario.

Marchés

L’accès à une nouvelle source d’approvisionnement de proximité et à prix compétitif a provoqué une croissance accélérée de l’utilisation du gaz naturel pour produire l’électricité. Dans un marché continental, cette croissance de la demande influe sur les prix, la saisonnalité de la demande et les pratiques contractuelles. Les prix offerts au Québec et en Ontario seront représentatifs du prix payé par les marchés alternatifs.

Une transition critique

L’énergie et le gaz naturel sont des éléments d’actualité politique, tant aux États-Unis qu’au Canada. Pour la première fois depuis des décennies, le gouvernement du Canada montre un intérêt majeur pour le gaz naturel, présentant un agenda axé sur l’exportation. Soucieux de protéger leur économie respective, les gouvernements provinciaux sont également engagés dans une discussion sur l’énergie.

Cette transition des marchés doit s’effectuer de manière ordonnée, et dans les meilleurs délais. À défaut, les opportunités se transformeront en risques, desquels découleront des inconvénients majeurs pour les consommateurs, notamment en termes d’instabilité des marchés, de sécurité d’approvisionnement et de coûts.

L’ACIG est d’avis que la sécurité d’approvisionnement et le retour à la stabilité des marchés sont tributaires du désengorgement des réseaux de transport et du traitement des actifs échoués.

L’Office national de l’énergie (l’ONÉ) a récemment donné son aval à l’Entente intervenue entre TransCanada et les distributeurs gaziers. L’Entente redéfinit la structure tarifaire du pipeline principal de TransCanada et marque la première étape permettant le désengorgement trop attendu du réseau de transport en Ontario.

Pour sa part, le projet Énergie Est, déposé à l’ONÉ à la fin octobre 2014, devrait permettre de disposer des actifs échoués.

L’ACIG et le projet Énergie Est

Projet Energie Est

(cliquez sur l'image pour l'agrandir)

Le projet Énergie Est proposé par TransCanada permettra d’acheminer du pétrole depuis l’Alberta jusqu’au Québec et le Nouveau-Brunswick, desservant à la fois le marché canadien et celui de l’exportation. Le projet comprend trois principaux segments qui se distinguent chacun des autres.

  • Le premier segment (depuis l’Alberta jusqu’à North Bay en Ontario) consiste à convertir en oléoduc un tronçon du pipeline de gaz naturel qui est sous-utilisé.
  • Le deuxième segment entre North Bay et Iroquois (tronçon North Bay – Iroquois) vise essentiellement le même objectif, alors que, contrairement au premier segment, ce tronçon du pipeline est encore pleinement utile et utilisé pour desservir les marchés de l’Est de l’Ontario et du Québec.
  • Le dernier segment fait l’objet d’une nouvelle construction, débutant près du point Iroquois, en Ontario, qui traversera le Québec et se poursuivra jusqu’au Nouveau-Brunswick.

L’ACIG accueille avec enthousiasme le projet Énergie Est et se réjouit de l’apport qu’un tel projet aura sur l’économie canadienne, donnant un nouveau souffle à l’industrie pétrochimique.

Cependant, TransCanada prévoit le retrait de 1200 Tj/jour de capacité sur le tronçon North Bay – Iroquois et l’ajout de 575 Tj/jour sur le tronçon entre Maple et Iroquois (projet Eastern Mainline). TransCanada a déterminé le niveau d’ajout de 575 Tj/jour sur la base des engagements fermes qu’il détient, alors que les distributeurs considèrent que le niveau d’ajout devrait remplacer la pleine capacité retirée, soit 1200 Tj/jour.

L’ACIG est préoccupée par l’écart important qui réside entre les prévisions de TransCanada et celle des distributeurs. Une sous-estimation de la capacité requise aura un impact néfaste sur la sécurité d’approvisionnement et sur les prix du marché. L’incertitude des marchés continue de faire ses ravages en maintenant élevés les prix du marché.

De plus, l’ACIG est préoccupée par les surcoûts potentiels qui pourraient être associés à l’ajout de capacité, puisque TransCanada n’en assume pas le risque.

La conversion du tronçon North Bay – Iroquois soulève donc d’importants enjeux de nature fonctionnelle et économique pour les consommateurs de gaz naturel.

Risque d’insuffisance de capacité de transport

Les enjeux de nature fonctionnelle découlent de la dichotomie entre la capacité convertie sur le tronçon North Bay – Iroquois et la capacité de remplacement à être ajoutée par le projet Eastern Mainline. Les distributeurs gaziers considèrent que cet écart causerait un déficit de l’ordre de 20 % de la capacité disponible pour desservir les marchés.

Il est impossible d’évaluer avec exactitude les besoins du marché, mais l’écart entre les prévisions de TransCanada et celles des distributeurs est suffisamment important pour inquiéter le marché quant à la suffisance de capacité disponible.

Risque d’interfinancement du marché pétrolier par le marché gazier

TransCanada propose d’acquérir les actifs du tronçon North Bay – Iroquois à la valeur nette aux livres, estimée à 400 millions de dollars, plus une prime d’acquisition de 500 millions de dollars. Il propose de construire près de la moitié de la capacité convertie au coût estimé de 1,5 milliard de dollars.

Par les tarifs de transport, les consommateurs de gaz assumeront ainsi le coût d’une base tarifaire plus importante sur une période d’amortissement prolongée. Ils assumeront aussi le risque du surcoût de la construction.

D’autre part, la conversion du tronçon depuis Empress en Alberta jusqu’à North Bay est bénéfique pour les consommateurs de gaz naturel. TransCanada estime la valeur nette aux livres de ce tronçon à hauteur de 600 millions de dollars. Un revenu requis inférieur devrait alors engendrer une réduction tarifaire. Les projections de TransCanada feront l’objet d’analyses détaillées lors des audiences devant l’ONÉ.

La géopolitique et l’intérêt public

Le Canada est à la fois un grand producteur et un grand consommateur d’énergie. Il est certes d’intérêt public de favoriser la croissance des exportations de pétrole et de capitaliser sur l’émergence d’un nouvel approvisionnement en gaz naturel pour attirer les investissements dans les secteurs industriels à forte intensité énergétique.

Opposer les intérêts des producteurs de pétrole aux intérêts du marché de gaz naturel s’avère inutile et contre-productif. Le développement économique de la filière gazière ne devrait pas être ralenti par le développement de la filière pétrolière. Il y aurait plutôt lieu d’élargir l’assiette énergétique canadienne et de trouver une façon de construire l’oléoduc Énergie Est sans affecter les marchés gaziers.

Il est d’intérêt public d’aligner les discussions sur un objectif commun qui permettra à la fois la faisabilité du projet Énergie Est et qui donnera accès à un approvisionnement fiable et à prix compétitif aux consommateurs de gaz naturel. fin

Notes

  1. Bcf = Milliard de pieds cubes

Notes

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  L’ÉNERGIQUE est le bulletin d’information de l’AQCIE. Il est publié quatre fois par année à l’intention des membres et partenaires de l’Association. Toute reproduction est autorisée à condition d’en mentionner la source et de nous en informer au dg@aqcie.org