Été 2014  
VOLUME 8 | NUMERO 2  
 

 
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Pour que le vent n’emporte pas nos industries



Par Luc Boulanger

Directeur exécutif, AQCIE

La nécessité de préserver la compétitivité des grands industriels québécois

Comme nous avons eu l’occasion de le démontrer à plusieurs reprises au gouvernement, devant la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec1 ou devant la Régie de l’énergie, la compétitivité du tarif L s’est érodée au fil des ans. Au point où ce tarif se retrouve dans le quatrième quartile à l’échelle mondiale, dans le secteur de l’aluminium, et que dans d’autres secteurs, comme le silicium, il place l’unité de production québécoise en queue du peloton parmi les usines du grand groupe nord-américain auquel elle appartient (voir Vive la concurrence équitable).

En janvier 2010, le ministre des finances d’alors, Raymond Bachand, avait proposé de hausser de 1 cent le kWh le prix de l’électricité patrimoniale pour contribuer au retour à l’équilibre budgétaire dès l’exercice 2013-2014. Nous avions alors fait des représentations2, démontrant le tort que causerait la hausse tarifaire d’environ 20 % que cette décision entraînerait pour les industriels québécois. En considération des retombées économiques vitales pour le Québec des activités de ses grands industriels, le gouvernement avait alors reconnu la nécessité de les exonérer de la hausse proposée de l’électricité patrimoniale.

La succession des gouvernements a fait en sorte que cette hausse de 1 cent le kWh n’a jamais vu le jour, mais, dans les budgets qui ont suivi, le tarif L a depuis lors été exonéré de l’indexation du coût de l’électricité patrimoniale. Une décision nécessaire, mais, comme nous le verrons, insuffisante.

La facture salée des nouvelles énergies, et principalement de l’éolien

Après deux augmentations tarifaires annuelles où la part du lion est allée aux nouvelles énergies, et principalement à l’éolien comme le souligne Hydro-Québec, l’adage jamais deux sans trois se vérifie dans sa plus récente demande tarifaire. L’expérience des récentes décisions tarifaires nous enseigne donc que, pour contribuer efficacement à la compétitivité de ses industriels, le Québec devrait aussi, voire surtout, les tenir indemnes de l’impact tarifaire exagéré de ces nouvelles énergies.

Une demande déraisonnable ? Dans notre dernière édition, Olivier Charest, directeur Énergie et Affaires juridiques, Alcoa Canada, traçait le portrait de la situation en Ontario ainsi qu’en Allemagne3, où l’on a déjà accédé partiellement à cet impératif. En Europe, la position allemande est loin d’être unique, puisque des mesures ont aussi été prises pour soutenir la compétitivité des grandes entreprises électro-intensives en France, en Italie et, depuis le 1er juillet 2014, dans l’ensemble de l’Union européenne4.

Mais avant de survoler la nouvelle réglementation de la Communauté européenne, voyons d’abord le rôle que jouent les énergies vertes dans les bilans énergétiques en Europe et au Québec.

Compenser quoi, au juste ?

Il convient d’abord de souligner que ces bilans sont radicalement différents. Dans plusieurs pays européens, les énergies vertes – principalement le solaire et l’éolien – viennent alléger l’empreinte environnementale d’une production nationale largement thermique, à base d’énergies fossiles et de nucléaire. De plus, ces ajouts comblent souvent un besoin réel d’électricité, en plus d’aider à atteindre des objectifs communs liés au climat, à l’horizon de 2020.

Au Québec, les énergies vertes viennent « compenser » l’empreinte environnementale déjà avantageuse de l’énergie hydroélectrique. De plus, leur production ne correspond à aucun besoin d’approvisionnement, puisque le Québec comptera d’imposants – et coûteux – surplus d’électricité jusqu’au milieu de la prochaine décennie, au moins. Quant aux objectifs élevés de réduction de GES du gouvernement du Québec, ceux-ci sont essentiellement liés à l’activité industrielle et au transport – que l’on souhaite justement convertir à l’électricité – plutôt qu’à la production d’énergie.

Tant sous le volet de la compensation environnementale que de l’alimentation du réseau ou des objectifs environnementaux, la contribution de l’éolien s’avère plus symbolique que nécessaire au Québec, où cette filière énergétique est essentiellement tributaire d’une volonté politique. Par ailleurs, cette forme d’énergie n’est pas dénuée de retombées moins désirables. Ici comme ailleurs dans le monde, les collectivités qui n’en veulent « pas dans leur cour » sont de plus en plus nombreuses et organisées5.

Remédier aux distorsions du marché, soutenir les entreprises exposées à la concurrence internationale

La Commission européenne publiait le 9 avril dernier ses Lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-20206, entrées en vigueur le 1er juillet 2014.

L’accueil qu’on leur a réservé est nettement tranché:

« Le gouvernement allemand, en particulier la chancelière et le ministre de l’Économie ont réalisé un travail de titan », s’est félicité Ulrich Grillo, le président de la Fédération de l’industrie allemande (BDI), qui voit la preuve que Bruxelles et Berlin se battent pour une industrie forte. Autre discours du côté des défenseurs des énergies vertes. « La Commission européenne donne un chèque en blanc de plusieurs centaines de millions d’euros à Mittal et consorts », s’étrangle l’eurodéputé Claude Turmes (groupe des Verts). » 7

Le vice-président de la Commission européenne chargé de la politique de concurrence, Joaquin Almunia, qui a présenté les nouvelles lignes directrices, estime que « l’heure est venue pour les énergies renouvelables d’entrer sur le marché », et que « L’Europe doit atteindre ses objectifs ambitieux en matière d’énergie et de climat au coût le moins élevé possible pour les contribuables et sans fausser indûment la concurrence au sein du marché unique. Cela contribuera à rendre l’énergie plus abordable pour les entreprises et les citoyens européens8

Introduction progressive de mécanismes fondés sur le marché

La Commission estime que le système de prix garantis, initialement consentis pour favoriser le développement des filières vertes, a fait son temps. D’autant plus qu’il a coûté cher, provoqué des « bulles » et des abus. Elle propose donc de soumettre progressivement les énergies renouvelables – notamment les installations solaires de plus de 500 kWh ou éoliennes de plus de 3 MW (3 éoliennes) – à des appels d’offres mettant en concurrence les différentes formes d’énergie.

La situation québécoise n’est pas exemptes des distorsions de ces mécanismes de fixation des prix que la Commission européenne s’applique à corriger sur son territoire. En juin 2013, le ministre des finances d’alors, Nicolas Marceau, évoquait des motifs n’ayant aucun lien avec les besoins d’approvisionnement ou l’efficience de la tarification pour justifier les ententes de gré à gré de fourniture d’énergie éolienne qu’il renonçait, à contrecœur, à intégrer à la Loi 25 par voie d’amendement :

« On voulait donner, par les amendements (…) la possibilité au gouvernement de s’entendre de gré à gré avec certaines communautés autochtones, ou bien carrément (…) avec Hydro-Québec Production, qui (…) aurait pu développer la filière éolienne. (…) il était possible pour Hydro-Québec Distribution d’acheter de l’électricité de gré à gré, soit avec des communautés autochtones, soit avec Hydro-Québec Production. Cette possibilité aurait été, évidemment, à l’avantage de ces communautés autochtones, également à l’avantage de plusieurs régions québécoises. (…) Donc, c’était très important pour nous de maintenir, de soutenir, de continuer le développement de la filière éolienne pour entre autres soutenir les 800 emplois de la Gaspésie dans le secteur éolien. » 9.

En Europe, les procédures de mise en concurrence s’amorceront par une phase pilote en 2015 et 2016, laissant une marge de manœuvre suffisante pour tenir compte des particularités nationales. On verra aussi au remplacement progressif des prix fixes de rachats par des primes de rachat, qui exposent les sources d’énergie renouvelables aux signaux du marché. Ces primes visent à compléter dans une certaine mesure la rémunération des énergies renouvelables, vendues au prix du marché selon les appels d’offres.

Cette orientation des énergies renouvelables vers le prix du marché – tenant aussi compte des besoins d’approvisionnement réels du marché – se veut donc progressive et réalisée dans la transparence. Cette approche nous semble nettement préférable à celle du Québec, où l’on intègre dans la tarification de l’électricité des éléments, comme le développement économique régional, qui relèvent de la fiscalité.

Promouvoir la compétitivité de l’industrie européenne

La Commission européenne reconnaît que « les redevances prélevées pour financer le soutien accordé aux énergies renouvelables pèsent de plus en plus sur la facture énergétique de l’industrie et représentent une très lourde charge pour certaines entreprises énergivores, en particulier pour celles qui doivent faire face à une forte concurrence internationale.10» C’est pourquoi les lignes directrices recommandent de réduire, voire d’éliminer, pareilles charges dans 65 secteurs énergivores, dont la chimie, l’industrie papetière ou la métallurgie.

Les États membres pourront ajouter à cette liste d’autres secteurs où les entreprises énergivores doivent voir leurs charges allégées pour maintenir leur compétitivité. L’exemption vise les entreprises soumises à la concurrence internationale et dont la facture d’électricité représente au moins 20 % du chiffre d’affaires11

Pourquoi pas au Québec ?

Le Québec adapte parfois sa tarification industrielle, au cas par cas, à la réalité concurrentielle. On l’a vu récemment par la renégociation de contrats d’approvisionnement à partage de risque dans le secteur de l’aluminium, ou encore par l’offre à une industrie existante du même tarif préférentiel qui sera accordé à une nouvelle implantation concurrente (voir Vive la concurrence équitable).

Une approche concertée et d’application plus générale, par secteur industriel comme l’applique désormais la Commission européenne, nous apparaît nettement plus intéressante et, encore une fois, plus transparente.

Pour des raisons historiques, l’infrastructure industrielle du Québec est étroitement liée à la disponibilité de l’hydroélectricité. C’est pourquoi la perte de compétitivité des tarifs industriels a des conséquences plus graves ici qu’ailleurs, pour le Québec dans son ensemble et plus particulièrement pour ses régions ou les industries électro-intensives représentent le principal, voire l’unique, moteur économique.

Le gouvernement a déjà fait un pas en exonérant le tarif L de l’indexation de l’énergie patrimoniale. Mais, comme nous l’avons vu, l’intégration des énergies vertes – et particulièrement l’éolien – est la plus importante composante des augmentations tarifaires disproportionnées que les industriels québécois subissent depuis deux ans. Et la tendance se maintient dans la demande tarifaire pour 2015.

Afin de soutenir la compétitivité de ces grandes entreprises, il importe d’apporter plus de transparence dans l’établissement des coûts de l’électricité. À la lumière de la position que vient de prendre la Commission européenne en matière d’aides d’État à la protection de l’environnement et de l’énergie, il nous semble nécessaire :

  • Que le coût des énergies vertes pour les Québécois soit clairement établi – ce qui éviterait la montée aux barricades récente de l’industrie de l’éolien à l’encontre d’Hydro-Québec;
  • Que la distinction soit clairement établie entre la partie de ces coûts réellement imputable à l’approvisionnement en énergie et la partie afférente au développement économique régional, qui devrait être exclue de la base de tarification;
  • Que l’impératif concurrentiel des grandes entreprises électro-intensives soit reconnu et que seule la partie des coûts de l’énergie verte qu’elles peuvent réellement supporter leur soit imposée.

En ayant accès à des tarifs d’électricité qui contribuent à leur compétitivité, les grands consommateurs industriels d’électricité québécois pourraient donner leur pleine mesure en matière de maintien et de création d’emplois, de création de richesse dont le Québec a grandement besoin et de soutien au dynamisme des collectivités et des régions dans lesquelles elles sont établies. fin

Notes

  1. Les consommateurs industriels d’électricité : Au cœur des stratégies énergétiques, économiques et environnementales du Québec, Mémoire de l’AQCIE présenté devant la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec, Montréal, le 12 septembre 2013, pp 13-16.
  2. L’électricité au cœur du développement économique, une valeur québécoise, Présentation faite au ministre Raymond Bachand, ministre des Finances dans le cadre des consultations menées pour la préparation du budget 2010-2011, Montréal, le 27 janvier 2010.
  3. Qui doit payer pour l’énergie Éolienne, L’Énergique, Volume 8, Numéro 1, Printemps 2014.
  4. Quel statut pour les industries énergo-intensives en Europe ? Michel Guénaire, Pierre-Adrien Lienhardt et Adrien Houssaïs, La Revue de l’Energie, n° 619, mai-juin 2014. On y décrit notamment les caractéristiques des marchés de l’énergie visant les industries grandes consommatrices d’électricité et de gaz naturel en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne et au Portugal.
  5. La Plateforme européenne contre l’éolien industriel regroupe 814 organisations, de 25 pays européens, dont l’opposition à cette forme d’énergie parfois farouche.
  6. Lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-2020, Commission européenne, le 28 juin 2014.
  7. Énergies vertes : Bruxelles choisit de ménager l’industrie, Les Échos.fr, le 9 avril 2014
  8. Aides d’État: la Commission adopte de nouvelles règles sur les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie, Communiqué de presse de la Commission européenne, Bruxelles, le 9 avril 2014.
  9. Journal des débats de la Commission des finances publiques, Le mardi 11 juin 2013 – Vol. 43 No 47 (Reprise à 20h42)
  10. Op. Cit., Communiqué de presse de la Commission européenne
  11. Renouvelables : L’Europe entend les confronter au marché dès 2015, Actu-environnement.com, le 9 avril 2014.

Notes

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