| | Hausse tarifaire sans précédent depuis le début de la réglementation : La demande d’Hydro-Québec entrave sérieusement notre compétitivité Par Luc Boulanger Directeur exécutif, AQCIE |
| | On a pu suivre en août dernier le déballage progressif d’une hausse tarifaire sans précédent, demandée par Hydro-Québec dans ses activités de distribution. Dans sa requête annuelle pour la fixation des tarifs d’électricité qui s’appliqueront à compter du 1er avril 2014, Hydro-Québec Distribution (HQD) fixait sa demande à 3,4 %, car elle excluait alors l’impact sur les tarifs de la hausse qu’elle demande de son taux de rendement. Quinze jours plus tard, la Régie rappelait HQD à l’ordre en exigeant que l’impact du nouveau taux de rendement soit intégré à sa demande. De 3,4 %, l’augmentation passait à 5,8 %. Les usagers industriels du tarif L étant exonérés de l’indexation du prix de l’électricité patrimoniale, comptant pour 0,8 % de l’augmentation demandée, la hausse présentement devant la Régie à l’égard des industries grandes consommatrices d’électricité est donc 5 %. Mais il pourrait bien y avoir une suite à ce tragique roman-feuilleton, puisque HQD applique en réduction de la hausse demandée des gains d’efficience de 160 M$, l’équivalent d’une augmentation tarifaire additionnelle de 1,5 %. Or, rien n’empêche le gouvernement d’émettre un décret pour s’approprier ces gains d’efficience, conformément à son intention clairement déclarée dans le dernier budget et comme le lui permet le projet de loi 25, adopté par l’Assemblée nationale en juin dernier. Le gouvernement peut ainsi fixer les charges d’exploitation des entreprises règlementées de transport et de distribution au niveau qu’il juge approprié, que ce soit au-delà ou en-deçà des gains d’efficience identifiés par HQD. Ce décret doit être émis avant que la Régie ne rende sa décision sur les tarifs applicables, généralement au début de mars de chaque année. Le suspense peut donc encore durer. Si le gouvernement décidait de se saisir des gains d’efficience identifiés par Hydro-Québec, la hausse générale des tarifs serait alors de 7,3 %, et de 6,5 % pour les usagers du tarif L. Tout cela alors qu’on calculait en août une hausse de seulement 0,8 % de l’indice des prix à la consommation au Québec pour les douze mois précédents. Une hausse sans précédent Le tableau suivant fait état des demandes et des augmentations tarifaires approuvées par la Régie de l’énergie au cours des 10 années qui ont suivi le gel tarifaire 1999-2003. La plus forte hausse tarifaire demandée par HQD au cours de cette période a été de 6 % en 2004 – et cette demande suivait un gel de cinq ans – et la plus forte augmentation accordée par la Régie fut de 5,4 %, en 2006. Évolution des demandes de HQD et des décisions de la Régie, suivant le gel tarifaire (1999-2003) Année | Demande HQD | Décision de la Régie | 2004 | 6,0 % | 4,4% | 2005 | 2,1 % | 1,2% | 2006 | 5,4 % | 5,4% | 2007 | 2,8 % | 2,0% | 2008 | 2,9 % | 2,9% | 2009 | 2,2 % | 1,2% | 2010 | 0,2 % | 0,4% | 2011 | 0,0 % | -0,4% | 2012 | 1,7 % | -0,5% | 2013 | 3,3 % | 2,4 % | Mais il y a aussi le taux de change Rappelons que l’augmentation record de 5,4 % en 2006 s’est faite alors que le dollar canadien ne valait que 88 cents en comparaison du dollar américain. La compétitivité des tarifs industriels d’électricité est directement liée au taux de change, puisque les industriels du Québec doivent affronter leurs concurrents sur la base des tarifs applicables dans les autres juridictions, américaines notamment. En 2013, la valeur moyenne du dollar canadien gravite autour de 98 cents. Tenant compte de ce taux de change, la demande tarifaire devant la Régie est manifestement la plus élevée qui soit depuis la fin du gel tarifaire. Même si le gouvernement laissait Hydro-Québec conserver ses gains d’efficience, l’augmentation demandée de 5 %, en ce qui a trait au tarif L, aurait un impact beaucoup plus significatif qu’en 2006. Taux de change annuel moyen 2004-2013 (1 CAD = X USD) | 2004 | 0,77 USD | 2005 | 0,83 USD | 2006 | 0,88 USD | 2007 | 0,93 USD | 2008 | 0,94 USD | 2009 | 0,88 USD | 2010 | 0,97 USD | 2011 | 1,01 USD | 2012 | 1,00 USD | 2013* | 0,98 USD | * Du 1er janvier au 31 août | Ce qui se passe ailleurs Plusieurs juridictions offrent aujourd’hui des tarifs industriels inférieurs au tarif L. Déjà au Canada, pour une charge de 50 MW, Winnipeg offre en 2013 des tarifs de 20 % plus bas et St-John’s, de 15 %. Aux États-Unis, afin de préserver leurs entreprises manufacturières et d’en attirer de nouvelles, dont certaines actives au Québec, plusieurs juridictions interfinancent le tarif industriel par le tarif résidentiel. À titre d’exemple, un industriel GCE actif au Québec, ainsi qu’à plusieurs endroits aux États-Unis, paie un tarif moyen de 43,49 $/MWh pour son électricité au Québec, alors que dans ses différentes installations situées aux États Unis, il paie respectivement des tarifs de 43,38 $, 40,58 $, 37,00 $, 29,06 $, 26,53 $, et 24,63 $ pour ses approvisionnements en électricité. Le graphique suivant illustre l’évolution de certains tarifs payés par cet industriel, au Québec et en différents endroits aux États-Unis. Et ce n’est pas parce que nous manquons d’électricité ! Répondant à une demande de complément de preuve de la Régie, HQD a mis à jour au 20 septembre dernier son bilan en énergie (Cliquez sur le tableau pour ouvrir la version PDF) En comparaison du relevé de 2010, on y note que la demande s’est résorbée de 65 TWh sur la période 2013-2027 et que l’offre quant à elle s’est accrue de 38 TWh sur la même période. La situation s’est donc significativement aggravée en trois ans, puisque l’effet combiné de l’offre et de la demande se traduisent aujourd’hui par un surplus de 223 TWh sur 14 ans seulement. En effet, le bilan en énergie de mars 20101, produit dans le cadre de la requête R-3726-2010 ne faisait alors état que de surplus de 29 TWh à l’horizon 2020 et de besoins à combler de 79 TWh pour la période 2021-2027. Loi de l’offre et de la demande Dans le monde des affaires, généralement, lorsque l’on fait face à une situation où l’offre excède la demande, les prix baissent. Ici, nous faisons face à des surplus sans précédent et, en même temps, à une augmentation sans précédent des tarifs d’électricité. C’est un peu le monde à l’envers. Devant une situation de monopole, la règlementation doit avoir pour objectif de recréer les conditions prévalant dans un marché libre. À l’évidence, elles ne peuvent être recréées de façon parfaite. Mais on doit à tout le moins ne consentir à l’entreprise monopolistique qu’un taux de rendement sur son capital qui corresponde au faible risque auquel elle est confrontée, et à n’approuver que les dépenses raisonnables pour fixer le prix, ou le tarif, des biens et services rendus. Une entreprise, œuvrant dans le marché ouvert, qui continuerait à acquérir un approvisionnement dont elle n’a pas besoin ferait rapidement face aux lois implacables du marché. Elle serait vite contrainte à modifier son comportement ou à disparaître. Dans le cas de HQD, il est bien évident que l’accumulation d’une telle quantité d’énergie en surplus n’est pas un choix qu’elle exerce librement. Elle le fait parce qu’elle est tributaire, tout comme la Régie de l’énergie d’ailleurs, de politiques gouvernementales qui dictent ces choix. Tarification ou taxation ? Personne ne peut blâmer le gouvernement de vouloir intervenir afin de dynamiser l’économie québécoise en soutenant certaines activités industrielles, surtout en région, où la productivité est faible et le taux de chômage élevé. La question qui se pose dans un tel cas est de savoir qui devra défrayer ces subventions à l’emploi. Au cours des dernières années – et surtout de la dernière – le gouvernement et Hydro-Québec ont cherché par tous les moyens à tirer davantage de revenus des consommateurs d’électricité et à leur refiler une partie de la facture du développement économique, à l’encontre des principes fondamentaux de la règlementation. En fait, la tarification devant s’exercer sur la base des coûts, ces nouvelles mesures relèvent de la taxation, même si cela se fait de manière détournée. Des mesures contre productives Nous avons fait état à plusieurs reprises des retombées de nos activités alors que pour chaque kWh consommé, des dépenses d’exploitation équivalentes à 16 ¢/kWh sont injectées dans les économies régionales. Cela se compare très avantageusement aux revenus tirés de l’exportation, qui gravitent autour de 4 ¢/kWh. Des augmentations de l’ordre de celles demandées cette année, qui se répercuteront aussi dans les années à venir, entraveront sérieusement la capacité de concurrencer de tous les industriels québécois, et particulièrement des grands consommateurs d’électricité pour lesquels cette forme indispensable d’énergie représente de 25 % à plus de 75 % des coûts de production. Aggravant la perte de compétitivité du tarif L à l’échelle nationale, continentale et mondiale, pareille augmentation risque fort de mener à certaines délocalisations de la production et, éventuellement, à une désindustrialisation du Québec à moyen et à long terme. Lorsque le gouvernement choisit d’intervenir en matière de développement économique régional, il est essentiel qu’il le fasse officiellement, à même les budgets de ses ministères, et non par le biais de la tarification de l’électricité. Car alors il nuit à la compétitivité de tous les industriels pour n’en aider que quelques-uns. C’est pourquoi le financement de telles mesures par le biais des tarifs industriels d’électricité ne réussira pas à créer une plus grande richesse à l’échelle du Québec. 1. Dossier R-3726-2010, doc 1 p.14 Retour au sommaire ›
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