Printemps 2015  
VOLUME 9 | NUMERO 1  
 

 
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Mot du directeur exécutif

Il faut réintroduire l’économie dans l’équation



Par Luc Boulanger

Directeur exécutif, AQCIE

Au Québec, le citoyen moyen, de nombreux groupes de pression et la majorité des médias n’ont que peu d’appétit pour la chose économique. Ce manque d’intérêt, qui a parfois pour corolaire un manque de connaissances, alimente une tendance à oublier que le terme développement fait partie de l’expression développement durable et que l’économie est l’un des ses trois piliers, au même titre que l’environnement et la société. C’est pourquoi, puisque cela ne viendra pas naturellement, le gouvernement doit réintroduire l’économie dans l’équation et dans ses décisions.

Équilibrer le budget sans déséquilibrer l’activité industrielle

MDevant l’ampleur de la tâche, il est compréhensible que le gouvernement ait fait flèche de tout bois pour atteindre le nécessaire équilibre budgétaire. L’urgence d’agir explique le recours à de nombreuses mesures de court terme, dont la saisie des trop-perçus d’Hydro-Québec. En appliquant le mécanisme de traitement des écarts de rendement, récemment approuvé par la Régie de l’énergie, ces montants devraient plutôt se traduire en réduction tarifaire, pouvant atteindre 2 % en l’occurrence, pour l’ensemble des clients.

Fidèles à leurs habitudes, les médias illustrent presque toujours les augmentations ou rabais tarifaires par le coût de chauffage d’une résidence. Or le plus grand impact se ressent dans l’effritement de la compétitivité des tarifs industriels. Cette perte de compétitivité se traduit en modernisation d’installations qui ne se fait pas, en investissements dans la productivité qui ne se font pas et, en définitive, en emplois qui ne se créent pas et, pire, qui pourraient disparaître. Pareilles conséquences, on le conçoit aisément, sont d’un autre ordre qu’une hausse de 40 $ par année pour chauffer son domicile. Et ce n’est pas parce que ces conséquences ne se retrouvent pas dans les médias que le gouvernement peut les ignorer.

Mais nous pourrions être chanceux car, selon le calendrier réglementaire, les trop-perçus que le gouvernement souhaite conserver ne seront récupérables qu’en 2016. S’il a alors atteint l’équilibre budgétaire, ces sommes devraient alors être réparties entre Hydro-Québec et ses clients, comme l’entendait la Régie. Sinon, ce ne sera qu’une question de temps, puisque le gouvernement a réitéré son engagement à juguler le déficit budgétaire.

Des choix lourds de conséquences

Par contre, d’autres mesures contenues dans le Projet de loi 28, visant la mise en œuvre de dispositions du budget de juin 2014, sont beaucoup plus nuisibles à la croissance économique et industrielle à long terme du Québec. Elles peuvent causer un tort plus considérable, de par leur nature et leur caractère de « permanence », bien qu’une loi puisse toujours en corriger une autre. C’est d’ailleurs à cela qu’entend s’appliquer l’AQCIE. Pour nous il est clair que le gouvernement et les consommateurs industriels d’électricité poursuivent les mêmes objectifs de relance économique. En partageant cette fin commune, leurs priorités respectives doivent nécessairement finir par s’aligner.

À l’évidence, le gouvernement a le droit de soutenir l’industrie de l’énergie éolienne, tout comme il peut le faire dans d’autres secteurs d’activité. Mais il importe de dissocier ce soutien de la tarification de l’électricité, ce qui est d’ailleurs la règle dans tous les autres secteurs d’activité. Bientôt, le cumul des augmentations tarifaires attribuables à l’énergie éolienne atteindra et dépassera les 10 % de la facture de tous les clients d’Hydro-Québec. Il s’agit là d’un milliard $ par an, et de façon récurrente. Comment soutenir pareille mesure, en période de surplus d’approvisionnement prolongé ? Surtout lorsque cette hausse tarifaire mine la compétitivité de tous les industriels actifs au Québec, dont plusieurs ont des retombées économiques régionales d’un tout autre ordre que celui de l’énergie éolienne.

Les conséquences les plus lourdes se retrouvent dans les mesures prises pour maintenir cette orientation. On peut penser à la décision de faire assumer par les clients québécois l’ensemble des coûts élevés de l’énergie post-patrimoniale, en réservant l’énergie patrimoniale inutilisée à l’exportation. Ou encore au fait de refuser à la Régie de l’énergie le droit de prendre en compte l’état des approvisionnements avant d’autoriser le lancement de nouveaux appels d’offres pour de l’énergie excédentaire.

En multipliant les interventions politiques liées à l’établissement des tarifs d’électricité – on peut recenser au moins sept amendements législatifs depuis l’an 2000 – le gouvernement envoie un message inquiétant aux industriels. Celui de l’instabilité et de l’imprévisibilité des tarifs d’électricité, qui s’ajoute à la perte de compétitivité que le gouvernement a lui-même soulignée dans un récent décret.

Des besoins évidents, sur lesquels il faudra s’entendre

Nous l’avons souligné à plusieurs reprises : puisque l’électricité compose de 25 % à plus de 75 % des coûts des consommateurs industriels d’électricité, les tarifs québécois doivent permettre de soutenir la concurrence internationale. Pour atteindre un calibre mondial, et le conserver, les installations industrielles québécoises ont besoin d’investissements constants et importants. Afin de permettre une gestion raisonnable du risque lié à ces investissements, les tarifs industriels d’électricité doivent être non seulement concurrentiels, mais également stables et prévisibles. Il ne s’agit pas de souhaits, mais d’exigences incontournables pour assurer la pérennité des installations québécoises des consommateurs industriels d’électricité. Des installations qui, pour des raisons aussi bien historiques que stratégiques, sont de véritables moteurs socioéconomiques de villes et de régions entières du Québec.

Partout sur la planète, les gouvernements utilisent à leur avantage les ressources qui leurs sont propres pour attirer et retenir les activités industrielles qui contribuent directement à la qualité de vie de leurs citoyens. Le Québec dispose, avec l’hydroélectricité, d’un avantage énorme, qui ne peut que s’accroître avec la faiblesse de son empreinte carbone. Quoi de plus naturel que de s’en servir pour assurer, dans le respect du développement durable, la pérennité et la croissance de ses activités industrielles ? Le gouvernement pourrait déjà s’inspirer dans son Plan Nord d’une mesure du gouvernement ontarien, le Programme de réduction des tarifs d’électricité pour le secteur industriel du Nord, qui offre un rabais d’environ 25 % de son tarif industriel.[1]

Politique énergétique 2016-2025

Les trois consultations prévues par le gouvernement pour orienter sa politique énergétique 2016-2015, qu’il entend déposer à l’automne, font image de régime minceur à la suite de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec. Heureusement, le rapport de la Commission, rendu public en février 2014, et les mémoires déposés devant elle devraient aussi éclairer la réflexion du gouvernement. (Sur le sujet de la Politique énergétique, lisez aussi l’article du coprésident de la Commission, Normand Mousseau.) S’il est compréhensible de ne pas réitérer pareil exercice à si brève échéance, notre participation aux deux premières consultations des 13 février et 30 mars derniers confirme cependant qu’une politique digne de ce nom ne pourrait s’élaborer sur la base de pareils exercices. La méconnaissance des enjeux économiques y était manifeste et c’est notamment pourquoi il est essentiel que le gouvernement réinjecte cette variable essentielle dans l’équation de sa politique énergétique 2016-2025. Il ne peut se faire de développement durable si ses trois piliers ne sont pas au même niveau.

L’AQCIE tient à assurer le gouvernement qu’il trouvera toujours chez elle, et chez ses sociétés membres, de solides appuis pour le développement économique, environnemental et social du Québec.fin

Notes

  1. Sudbury Northern Life, Jonathan Migneault, Program saves large industrial companies up to $20 M per year in hydro costs. Le vice-président des opérations de Glencore à Sudbury souligne dans cet article que le maintien d’un tel programme est l’un des éléments déterminants de la poursuite de la présence de l’entreprise dans la région après 2020.

Notes

 

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