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La politique énergétique du Québec 2016-2030
Entre un sentiment de déjà-vu et une ouverture sur une gestion
moderne et indépendante
Par Normand Mousseau
Professeur au Département de physique et titulaire de la Chaire de recherche de l’Université de Montréal sur les matériaux complexes, l’énergie et les ressources naturelles. Il fut co-président de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec.
(Crédit photo : Amélie Phillibert, U de M)
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Privilégier une économie faible en carbone; mettre en valeur de manière optimale les ressources énergétiques du Québec; stimuler la chaîne de l’innovation technologique et sociale.
Les objectifs de la nouvelle politique énergétique du Québec sont ambitieux et misent, sans réserve, sur la transformation de son panier énergétique comme un important levier de développement économique et de transformation sociale.
Pour y parvenir, le gouvernement libéral de Philippe Couillard propose principalement de revoir la structure de la consommation et des approvisionnements énergétiques du Québec d’ici 2030 grâce à une réduction de 40 % de la consommation de produits pétroliers, une augmentation de 15 % de l’efficacité énergétique et un ajout de 25 % de l’énergie renouvelable dont près de la moitié en bioénergie, des cibles choisies afin de respecter l’objectif plus large de réduction de 37,5 % des émissions de GES sur cette période. Cette transformation à grande échelle sera pilotée, en partie au moins, par un nouvel organisme (pour lequel le nom Transition énergétique Québec (TÉQ) a été évoqué), responsable à la fois des programmes d’efficacité énergétique et de la transition dans son ensemble, et redevable devant une Régie de l’énergie aux pouvoirs revus.
Les détails qui permettront d’atteindre les doubles objectifs de réduction de la consommation de pétrole et de développement économique sont encore manquants; on ignore également la nature des responsabilités du nouvel organisme, sa capacité à peser sur les décisions qui seront prises dans l’ensemble de l’appareil gouvernemental et la force des mécanismes de rétroaction, essentiels à une transition réussie. Au-delà de ces imprécisions, toutefois, on ne peut s’empêcher de ressentir une certaine familiarité avec cette nouvelle politique. En effet, les grandes lignes annoncées en avril reproduisent largement la grande transformation énergétique qu’a vécu le Québec dans les années 1980, un copier coller qui suggère une certaine incapacité de la part de décideurs à saisir ou à clarifier l’ampleur réelle de la reconstruction énergétique envisagée.
La première révolution énergétique
On l’oublie souvent : le Québec n’en est pas à sa première transformation énergétique majeure. Celle proposée par le gouvernement Couillard ressemble étrangement au bouleversement du début des années 1980, imposé par la mise en route des immenses ouvrages hydrauliques du Nord et l’arrivée soudaine, sur les réseaux électriques du Québec, d’une puissance renouvelable encore jamais vue. Afin d’absorber rapidement cette énergie, le gouvernement de l’époque déploya d’importants programmes d’électrification du chauffage résidentiel et des procédés industriels.
Couplés à une série de crises pétrolières mondiales et à divers programmes d’efficacité énergétique visant à relancer une économie en récession, ces efforts produisirent des résultats spectaculaires. Entre 1979 et 1986, en seulement 7 ans, la consommation de pétrole au Québec chuta de 43 %, passant de 22 millions de tonnes d’équivalent pétrole (Mtép) à seulement 12,7 Mtép alors même que la part de l’électricité bondissait de 50 %, de 8,4 à 12,6 Mtép. Quant au 5 Mtép manquant, il s’explique à la fois par les programmes d’efficacité énergétique et le rendement supérieur de l’électricité par rapport aux hydrocarbures fossiles.
Cette transformation fut accompagnée de retombées économiques significatives : les investissements dans la rénovation et l’électrification du chauffage créèrent des emplois et de l’activité dans toutes les régions du Québec; la balance commerciale fut grandement améliorée par la réduction de la consommation de mazout; et la politique de faible coût de l’électricité permit d’attirer de nouvelles industries énergivores.
En termes absolus, et si on met de côté la durée de la transformation, qui s’est faite sur 8 ans dans les années 1980, la nouvelle politique énergétique actuelle reprend donc, 40 ans plus tard, les diverses cibles énergétiques et les grandes lignes de développement économiques qui furent une réussite pour le Québec d’alors. L’histoire ne se répète jamais pourtant et, dans un contexte national et mondial différent, il est difficile de croire qu’une vieille recette parviendra à fonctionner de nouveau. Il suffit, pour s’en convaincre, d’examiner les voies qui permettraient de réduire de 40 % la consommation de pétrole au cours des 14 prochaines années.
Le Québec n’est plus ce qu’il était
La transformation énergétique des années 1980 a ciblé principalement le chauffage résidentiel et le secteur industriel, deux secteurs où les investissements nécessaires à l’électrification étaient relativement peu coûteux ou offraient des retombées économiques intéressantes. Est-il possible, aujourd’hui, de poursuivre sur la même voie?
En 2013, selon le gouvernement du Québec, 81 % de l’énergie consommée par le secteur résidentiel était d’origine renouvelable avec 7 % de mazout et le reste en gaz naturel. Impossible, dans ces conditions, de répéter l’expérience de l’époque en s’appuyant sur ce secteur. Quant au secteur industriel, seulement 14 % de sa consommation énergétique provient des hydrocarbures fossiles. Éliminer l’ensemble du pétrole de ces deux secteurs ne permettrait, au mieux, que de réduire de 17 % la consommation totale de ce combustible du Québec, loin de la cible de la nouvelle politique énergétique. Pas de doute, cette fois-ci, il faudra aussi mettre le secteur des transports à contribution, puisqu’il absorbe à lui seul les trois quarts de la consommation de pétrole du Québec. Ce défi est considérable : malgré presque une dizaine d’années de prix du pétrole élevé, ce secteur dépend toujours à plus de 99 % de ce combustible ce qui suggère que les alternatives énergétiques ou technologiques compétitives restent encore très limitées.
Quoiqu’il en soit, l’arrivée de nouvelles technologies pour les véhicules routiers n’offrirait que peu de retombées économiques : puisque l’essentiel des véhicules routiers est importé, les investissements visant simplement à remplacer ceux-ci par des alternatives propres ne généreraient aucune activité industrielle supplémentaire pour le Québec. Cette absence de solution évidente explique pourquoi la nouvelle politique énergétique maintient les objectifs du Plan d’action en électrification des transport 2015-2020, dont les impacts sur la consommation de pétrole seront négligeables, mais n’identifie pas les mesures additionnelles qui devraient permettre de réduire de manière brutale la consommation de pétrole tout en maximisant le levier économique des investissements attendus. Dans ces conditions, il est surprenant que le gouvernement ait choisi de ne pas viser également des gains du côté du gaz naturel, souvent beaucoup plus facile à déplacer.
Au-delà du pétrole, la nouvelle politique reprend le scénario des années 80 en prévoyant une augmentation de 15 % de l’efficacité énergétique, présentée avant tout comme une source d’approvisionnement. Cette augmentation cible, si on en croit les exemples donnés dans le document, l’utilisation de l’électricité du secteur résidentiel, là où, aujourd’hui, les gains économiques pour le Québec sont les plus faibles. En effet, si l’on ne peut être contre l’efficacité énergétique, la situation de surplus électrique du Québec diminue l’intérêt actuel pour cette option : chaque kWh économisé au Québec est aujourd’hui vendu moins cher sur les marchés étrangers! Dans le contexte actuel, il serait nettement plus rentable pour le gouvernement de privilégier l’efficacité énergétique dans le secteur manufacturier où cette dernière se conjugue avec une production plus efficace et plus compétitive, augmentant les retombées pour le Québec et de ne s’attaquer au secteur résidentiel que lorsque les surplus alors dégagés pourront être utilisés à meilleur escient.
Le copier-coller de la stratégie des années 1980 ne s’arrête pas à l’approvisionnement. La nouvelle politique prévoit, encore une fois, miser sur la valeur intrinsèque de l’électricité renouvelable produite ici pour attirer et retenir des industries énergivores. Or, malgré les efforts planétaires de réduction des émissions de GES, il n’est toujours pas facile de valoriser les énergies à faible émission de carbone. Pire, le marché de l’énergie a considérablement évolué ces dernières années et, dans plusieurs régions du monde, l’énergie se vend à des prix inférieurs à l’électricité québécoise.
C’est le cas, entre autres, du Moyen-Orient et du Sud des États-Unis qui disposent d’importantes ressources en gaz naturel qu’il est beaucoup plus rentable de brûler sur place que d’exporter. Même lorsque le Québec parvient à attirer ou à retenir ces industries, le nombre d’emplois créés par MWh consommés en vertu de rabais tarifaires ne cesse de diminuer à mesure que les industries deviennent plus productives, ce qui réduit les retombées économiques directes et indirectes de ces rabais. Dans le cas d’Alouette, par exemple, le gouvernement a accordé une aide supplémentaire sous la forme d’une baisse de tarif et d’un bloc additionnel de 70 MW (600 MWh sur une base annuelle) sans assurer la création d’un seul emploi!
Rejouant les rabais temporaires offerts dans les années 1980, alors que les surplus augmentaient rapidement, le gouvernement propose donc aux grands consommateurs des réductions de courte durée de 20 à 40 % en échange d’investissements en efficacité énergétique qui permettront d’améliorer leur compétitivité. Même si les détails manquent encore, la nouvelle politique énergétique fait aussi miroiter de nouveaux tarifs pour certaines industries plus sensibles à la compétition extérieure on pense aux serres et aux centres de ski. Si cette orientation peut se défendre, les retombées économiques et structurantes de ces rabais, bien réels, resteront relativement faibles.
L’exportation fut un autre axe de développement privilégié dans les années 1980. En une ligne, la nouvelle politique reprend cette stratégie et annonce une volonté d’augmenter les interconnexions avec les États et provinces limitrophes. Sans aucun échéancier ni objectif défini, il est toutefois difficile d’évaluer avec précision l’ampleur des retombées économiques de ces orientations.
Clin d’œil final aux orientations énergétiques d’il y a 40 ans, le gouvernement ne peut éviter d’annoncer le déploiement de nouvelles infrastructures de production avec, comme objectif, une augmentation de 25 % de la production renouvelable d’ici 14 ans, incluant un saut de 50 % dans les bioénergies, qui représenteraient alors entre 11 et 15 % du panier énergétique québécois. Ici, heureusement, le gouvernement se fait prudent et annonce que le déploiement de ces nouvelles infrastructures ne se fera, dans le cas de l’électricité à tout le moins, que si le besoin se fait sentir, lorsque les surplus d’HydroQuébec redescendront à moins de 2,5 %, un critère qui laisse tout de même une marge de manœuvre considérable au gouvernement.
Une omission inattendue : le SPEDE
En reprenant les orientations d’il y a près de 40 ans, la nouvelle politique énergétique passe sous silence une des évolutions énergétiques les plus importantes des dernières années: le marché du carbone. Mentionné une seule fois dans le document présentant la Politique énergétique 2016-2030, le Système de plafonnement et d’échange de crédits de carbone est pourtant la pièce centrale du programme de lutte aux changements climatiques du Parti libéral du Québec depuis une décennie et la source principale de financement des initiatives de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Or, le prix du carbone et la possibilité pour le Québec d’adopter une stratégie possiblement rentable en s’appuyant sur le SPEDE ne sont ni discutés ni même présents en filigrane du document du 7 avril dernier. Des pistes dans cette direction auraient pourtant permis de sortir de la copie carbone pour entrer résolument dans le XXIe siècle, car le marché du carbone, que l’Ontario et le Manitoba s’apprêtent à rejoindre, affectera le prix des combustibles fossiles et pourrait modifier significativement le poids respectif de celui-ci au cours des prochaines années. Ce marché offre également des occasions d’affaires potentielles pour les producteurs d’énergie à faibles émissions de GES, de même que pour les industries énergivores dont les marchés principaux se trouvent dans les provinces et États membres du SPEDE.
Une structure de gouvernance potentiellement gagnante
Au-delà des cibles déjà discutées, un élément prometteur se démarque tout de même dans la nouvelle politique énergétique : la création d’une société (TÉQ) chargée de définir et de gérer les programmes d’efficacité énergétique et, on l’espère, d’appuyer l’ensemble de l’appareil gouvernemental à atteindre ses objectifs énergétiques. Cette société devrait fonctionner à distance du gouvernement et rendre des comptes quant à sa propre efficacité à une Régie de l’énergie aux pouvoirs revus, suivant un modèle de gouvernance qui fonctionne assez bien à l’étranger.
Les avantages d’une telle structure de gouvernance sont significatifs : une société à bout de bras du gouvernement sera plus à même de prendre des risques sans éclabousser le monde politique. De même, une obligation de rendre des comptes détaillés avec la possibilité pour la Régie de ne pas reconduire les budgets en cas de mauvais rendements mènera à une gestion plus serrée des programmes et de leurs retombées.
Les détails concernant cette nouvelle structure devraient être déposés sous peu. Il faut espérer que le mandat de celle-ci dépasse la simple Agence de l’efficacité énergétique, qu’on avait vue il y a une dizaine d’années, pour s’imposer, plutôt, comme la pièce centrale dans la politique de réduction des émissions de GES. Cette société pourrait alors penser les arbitrages de manière plus globale et maximiser, autant que possible, les retombées en réduction de GES et en avantages économiques de ses recommandations et de ses investissements. Si cette société a réellement les coudées franches, c’est à elle que reviendra le mandat d’évaluer les objectifs et les programmes sectoriels proposés dans la nouvelle politique énergétique afin de les remodeler dans un tout cohérent pour le Québec, laissant de côté les promesses et les objectifs coûteux pour se concentrer sur les mesures les plus prometteuses. Pour ce faire, la préparation de la nouvelle société devra avoir le soutien actif du bureau du premier ministre afin de lui assurer un droit de regard sur des dossiers, tels que le transport et l’aménagement du territoire, qui dépassent les responsabilités du Ministère de l’énergie et des ressources naturelles.
Le rôle de la Régie de l’énergie dans cette structure de gouvernance n’est pas à négliger, c’est pourquoi elle a besoin, en parallèle, d’une révision en profondeur qui assure une plus grande diversité de ses commissaires ainsi qu’une meilleure indépendance, avec un processus de nomination et de renouvellement des mandats qui ne relève pas seulement du politique. En effet, contrairement aux tarifs d’Hydro-Québec, le suivi de la nouvelle société ne sera pas d’abord légal mais bien économique et technique, ce qui risque de placer la Régie plus souvent en opposition aux décisions des divers ministères.
Il faudra un courage certain au gouvernement pour mettre en place la nouvelle structure de gouvernance. Celle-ci représente donc une occasion inespérée pour remettre en cause le modèle québécois et donner le pouvoir à la Régie de retenir le financement de la nouvelle société, en cas d’insuccès, pour l’accorder alors par appel d’offres à d’autres entités capables de livrer la marchandise, suivant l’exemple de divers États américains.
Conclusion
La politique énergétique du Québec présentée le 7 avril dernier ressemble, en grande partie, à un vieux remake des années 1980. En soit, la reprise d’une politique réussie ne pose pas de problème ; elle est plutôt le reflet d’une approche intelligente à la gestion. Malheureusement, comme on l’a vu, le Québec et le reste de la planète ont beaucoup changé en 40 ans et les solutions de l’époque ne permettent plus aujourd’hui de faire les transformations énergétiques qui s’imposent tout en appuyant le développement économique et social demandé. Telles que présentées, ces solutions ne réussissent pas à intégrer correctement la nouvelle politique énergétique au SPEDE, ce qui risque de coûter cher en n’intégrant pas les occasions d’affaires intéressantes qui pourraient y être liées à l’horizon 2030 et au-delà.
Dans ces conditions, le succès de cette politique dépendra largement de la qualité de la structure de gouvernance promise. Bien construite, indépendante, pouvant agir sur l’ensemble des dossiers et répondant sur une base annuelle de ses succès à la Régie de l’énergie, la nouvelle société créée par le gouvernement pourrait alors revoir en profondeur les cibles spécifiques annoncées pour se concentrer plutôt sur les meilleures voies à suivre afin d’atteindre les objectifs de développement environnemental, social et économique au cœur de cette politique, transformant notre rapport à l’énergie tout en dynamisant l’économie québécoise. Il ne reste plus qu’à espérer que le gouvernement osera aller jusqu’au bout de ces attentes.
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