HIVER 2013-2014  
VOLUME 7 | NUMERO 4  
 

 
Pour lire le bulletin, au format PDF, il suffit de cliquer ici ! ›


 
 


Le tarif industriel peut – et doit – redevenir concurrentiel au Québec

 

Par Benoît Pepin
Directeur Énergie, Amérique du Nord, Rio Tinto Alcan
et vice-président de l’AQCIE



La compétitivité du Tarif L touche l’ensemble des industries québécoises. Elle touche leur capacité à se développer et à mener concurrence à l’échelle mondiale.

L’horizon ne se limite pas aux frontières du Québec. La compétitivité du Tarif L ne peut être examinée en vase clos. Le gaz de schiste coule dans nos gazoducs et change l’environnement énergétique au Québec. Cette révolution des prix du gaz naturel, qui conditionne le prix de l’électricité sur le continent américain, est telle que les industriels paient maintenant des prix d’électricité moins élevés aux États-Unis qu’au Québec. Cette nouvelle donne a même permis à l’administration Obama de se lancer, avec succès, dans une vaste opération pour rapatrier aux États-Unis les industries manufacturières qui la quittaient pour la Chine et ailleurs.

Une perte de compétitivité impossible à ignorer

Les industriels du Québec ne peuvent pas faire « comme si » ces prix n’existaient pas, en raison de la concurrence qu’ils subissent à deux niveaux. À l’égard des entreprises concurrentes de leurs produits, certes, mais aussi de la concurrence pour le capital au sein des groupes auxquels la plupart des grands industriels québécois appartiennent. Les entreprises diversifiées investissent dans leurs installations les plus rentables, et seulement celles-ci puisque l’essentiel des investissements et des ajouts de capacité vont aux installations qui se situent dans les 1er et 2e quartiles des coûts de production1, tel que démontré par le tableau suivant.

Tableau 1

Or, comme nous l’avons écrit à maintes reprises dans l’Énergique, le tarif grande puissance d’Hydro-Québec, ou Tarif L, se situe maintenant dans le quatrième quartile dans le cas des alumineries, comme on peut le voir ci-dessous.

Tableau 2

Ce qui est encore plus important, cependant, c’est que les fermetures obéissent au même critère de compétitivité : 90 % des fermetures ont touché des installations dont le coût de production se situait dans les 3e et 4e quartiles.

Tabealu 3

Pour les entreprises électro-intensives, il existe une corrélation étroite entre le coût total et le coût de l’énergie. Malgré la maîtrise de tous les intrants qu’ils contrôlent, les industriels québécois voient leurs installations à risque du fait de la perte de compétitivité du Tarif L. Cette réalité affecte déjà le Québec, tant par des fermetures partielles ou totales, que par des projets de modernisation ou d’ajout de capacité qui ne peuvent se réaliser.

Choisir entre le maintien du tarif ou le maintien des industries ?

Il est paradoxal que, dans la situation de surplus énergétique que l’on connaît au Québec, on doive choisir entre le maintien du prix de notre électricité et la survie des industries qui la consomment. C’est toutefois la question qui confronte présentement le gouvernement.

C’est ce qui me faisait écrire dans un précédent article2 : « La question à se poser, à l’aube d’une consultation sur la politique énergétique pour le Québec, n’est pas comment tirer plus de revenus d’Hydro-Québec en augmentant ses tarifs ou son taux de rendement. La vraie question, c’est de combien devrions-nous réduire le Tarif L pour augmenter la compétitivité de nos entreprises et en attirer d’autres pour que les Québécois et le Québec (et son Trésor public) s’enrichissent ? » À l’aube d’une nouvelle politique énergétique, promise pour 2014, l’heure est venue d’y répondre.

Dans le cadre de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec (CEÉQ), le secteur québécois de l’aluminium dans son entier en est venu à la conclusion que l’offre d’électricité à des prix réellement concurrentiels, à l’échelle nord-américaine et mondiale, était incontournable. Que cela se fasse par la révision du prix, du Tarif L, ou sous d’autres formes comme les contrats à partage de risques, sans électricité à prix concurrentiel, stable et prévisible, les industriels québécois ne pourront créer ici toute la richesse dont ils sont capables.

Comment réduire les tarifs pour créer la richesse

Dans son mémoire à la CEÉQ3, Rio Tinto Alcan s’est penchée sur cette question, non pas celle de la volonté du Québec et d’Hydro-Québec de répondre à cet impératif, mais bien sur leur capacité de le faire. Et nous avons démontré que oui, il est possible de réduire significativement la facture des industriels, sans subvention et sans mettre en péril la santé financière d’Hydro-Québec.

Cela demande d’éviter de faire une ponction indue par Hydro-Québec, en augmentant ses coûts, ses tarifs et même maintenant son taux de rendement, une décision extrêmement inopportune alors que les entreprises se battent pour leur survie.

La clef de voûte du prix de l’électricité repose sur notre parc historique de centrales hydroélectriques produisant de l’électricité propre et fiable à faible coût. Et ce faible coût vient notamment du fait que, collectivement, nous avons payé le coût de ces barrages, remboursé la dette. Les industriels québécois ont joué, au cours des ans, un rôle irremplaçable à cet égard.

L’électricité générée par ces grands ouvrages, dite patrimoniale, Hydro-Québec doit nous la vendre, selon la loi actuelle, au prix de 2,79 cents/kWh. Un bon prix ? Et bien non, il s’agit en fait d’un prix exorbitant puisque ce kWh ne coûte pas plus de 1,79 cent4. Et encore là, ce 1,79 cent comprend des taxes et des redevances hydrauliques de 0,42 cent qui reviennent en plus à l’État. Et il comprend aussi un rendement de 6,7 % sur le capital d'Hydro-Québec, un profit raisonnable vu la nature de ses activités (cliquez sur le tableau pour l'agrandir).

Tableau 4

L’écart entre le prix que l’on paie et les coûts véritables de production s’explique par trois facteurs principaux : (a) le prix de vente était plus élevé que requis à l’origine, en 2000; (b) l’amortissement de ces actifs depuis plus d’une décennie additionnelle, depuis la mise en place du bloc patrimonial; et (c) la baisse dramatique du coût d’emprunt d’Hydro-Québec. (Cliquez sur le tableau pour l'agrandir).

Tableau 5

Oui mais, c’est sans compter le coût marginal, diront certains économistes. Et bien, si la valeur s’estime par l’usage à la marge, cette valeur économique a, elle aussi, fondu sur le continent américain depuis la venue du gaz de schiste. La valeur de nos exportations a dramatiquement baissé avec cette tendance de marché..

Pour une électricité vraiment patrimoniale

L’électricité d’Hydro-Québec peut être livrée aux industriels, avec profit, à 2,85 cents/kWh, alors il reste une importante marge de manœuvre au gouvernement pour revitaliser son économie.

Une réduction du prix offert aux industriels québécois exposés à la concurrence internationale offrirait au Québec la possibilité de créer de l’emploi et de la richesse, d’ajouter au patrimoine de tous les Québécois, et cela dans les régions comme dans l’ensemble du Québec.

C’est pourquoi Hydro-Québec peut – et doit impérativement – réduire son tarif industriel. L’intérêt de tous n’est pas dans la maximisation des bénéfices d’Hydro-Québec, mais bien dans la maximisation de ceux des Québécois. fin

Notes

  1. Deloitte. Étude sur l’empreinte économique des alumineries à contrats spéciaux Association de l’Aluminium du Canada
  2. Le Tarif L n’est pas une aubaine, L’Énergique, Juin 2013
  3. Diminuer le prix de l’électricité pour assurer la croissance de l’industrie de l’aluminium pour le bénéfice du Québec, Rio Tinto Alcan, Mémoire présenté à la Commissions sur les enjeux énergétiques
  4. Pour une présentation plus détaillée de la structure et du coût réel du tarif industriel, vous pouvez consulter les pages 30 à 34 du mémoire de Rio Tinto Alcan.

Notes

Retour au sommaire ›

 
 

 
  L’ÉNERGIQUE est le bulletin d’information de l’AQCIE. Il est publié quatre fois par année à l’intention des membres et partenaires de l’Association. Toute reproduction est autorisée à condition d’en mentionner la source et de nous en informer au dg@aqcie.org