| Mot du directeur exécutif Se représenter avec des avocats et des experts devant la Régie de l’énergie, ça coûte cher : l’asymétrie des moyens nuit à la réglementation Par Luc Boulanger Directeur exécutif, AQCIE |
| | La réglementation des services publics vise à protéger les consommateurs de la situation monopolistique dans laquelle ils se retrouvent. C’est le rôle que joue la Régie de l’énergie à l’égard d’Hydro-Québec et de Gaz Métro, un rôle auquel contribuent les intervenants comme l’AQCIE. En raison de sa nature de tribunal administratif, les associations qui y interviennent doivent nécessairement être représentées par des avocats. Les questions et enjeux débattus étant d’une grande complexité, le recours à des experts est aussi nécessaire afin d’ajouter valablement au débat. Ces représentations coûtent cher et comme on dit souvent : « le nerf de la guerre, c’est l’argent ». La disparité des moyens entre les intervenants et les services publics représente un enjeu crucial pour la défense efficace des intérêts des consommateurs et de l’environnement. Il existe actuellement une iniquité entre le contrôle qu’exerce la Régie sur les moyens de représentation, car ce contrôle est total sur les intervenants et inexistant sur Hydro-Québec. Le contexte actuel de rigueur financière, voire d’austérité, dans lequel évolue l’appareil gouvernemental fait en sorte que cette iniquité s’aggrave, en raison des priorités que s’est données la Régie dans la reconnaissance des frais engagés par les intervenants. De récents échanges pointent manifestement dans cette direction. Rétablir l’équilibre Les frais de représentation de Gaz Métro sont mis en lumière par des demandes de renseignements formulées auprès de la Régie. Cela a déjà permis une réévaluation des forces en présence lorsque les écarts étaient trop criants. Dans une décision de 20131, la Régie a ainsi retranché 1 M$ pour les services professionnels du distributeur gazier dans une requête sur le taux de rendement. Par contre, en ce qui a trait à Hydro-Québec, le secret est maintenu. Impossible de connaître l’ampleur des moyens déployés par Hydro-Québec, malgré de nombreuses demandes adressées à la Régie. Dans le cas des intervenants, la Régie module le pourcentage des coûts de représentation qu’elle autorise en fonction de son évaluation de leur pertinence et de leur utilité dans la prise de décision. La Régie justifie ce contrôle des remboursements parce qu’ils sont intégrés aux tarifs. En ce qui a trait aux coûts encourus par Hydro-Québec, la Régie n’exerce aucun contrôle et n’en fait aucune évaluation, bien qu’ils soient eux aussi ajoutés intégralement dans les tarifs. Et, là où le bât blesse, c’est que souvent les intérêts défendus par Hydro-Québec sont les siens et ceux de son actionnaire et ce sont les usagers qui en font les frais dans leurs tarifs. Les consommateurs paient en fait, par leurs tarifs, tous les moyens mis en œuvre par Hydro-Québec pour augmenter ces tarifs. Mais ils ne peuvent socialiser qu’une partie de ceux investis pour la défense de leurs intérêts que la Régie doit faire. Et c’est injuste. En plus, Hydro-Québec porte jugement, elle, devant la Régie, sur les coûts de représentation des intervenants et sur leur utilité, ce qui nécessite temps et argent de la part des intervenants pour contester ces observations. Sachant ses ressources illimitées, et celles des intervenants restreintes, il peut être tentant de multiplier les mesures qui épuisent les ressources des intervenants sans toucher au fond de la question. Pour assurer l’équité dans la démonstration d’opinions parfois contraires, il est clair que celles-ci doivent être défendues de façon comparable. La Régie – et les intervenants – ne peuvent continuer d’ignorer l’ampleur des moyens placés derrière les arguments d’Hydro-Québec. Oui, mais à l’Office national de l’énergie… Lorsque la question des coûts de représentation devant la Régie de l’énergie est abordée, certains, qui œuvrent également devant l’Office national de l’énergie (ONÉ), soulignent que ce dernier ne défraie pas pareils coûts. Si c’était le cas lorsque les parties en présence sur le marché du transport du gaz étaient des intervenants pourvus de moyens importants, l’ONÉ a modifié cette approche – et offre maintenant certains dédommagements – avec la venue d’intervenants représentant notamment des intérêts environnementaux. De l’avis du Sierra Club de Colombie-Britannique2, qui participe au dossier Kinder Morgan où des compensations sont offertes, celles-ci, tout comme leur mode de versement, s’avèrent cependant insuffisantes. C’est un fait que certaines juridictions n’offrent pas – ou offrent peu – de compensation des coûts de représentations des intervenants qualifiés. Mais, en réglementation comme dans d’autres sphères d’activité, l’efficience est mieux servie par le partage des meilleures pratiques. C’est pourquoi – et cela l’honore – la Régie de l’énergie du Québec a imposé en 2013 à Gaz Métro le remboursement des coûts de représentation de l’Association des consommateurs industriels de gaz (ACIG) devant l’ONÉ, puisque ces représentations avaient été utiles à sa décision sur sa Demande d’approbation du plan d’approvisionnement et de modification des Conditions de service et Tarif3. Au chapitre des meilleures pratiques, il faut aussi noter qu’aux États-Unis, une quarantaine d’États possèdent des bureaux indépendants d’avocats rémunérés attitrés à la défense des clients de services publics4. Il s’agit là d’un exemple inspirant de représentation efficiente, puisque le ratio des économies tarifaires des clients, en comparaison des coûts de représentation, s’établit à 153/1 en Californie, 115/1 en Illinois, 98/1 en Pennsylvanie. De plus, là où les États ne financent pas de bureaux indépendants d’avocats à cette fin, il arrive généralement que le Procureur général (Attorney General) représente les consommateurs (Consumers’ Advocate). L’exemple québécois, éloquent mais perfectible L’énergie électrique joue un rôle particulier au Québec – ne parle-t-on pas d’électricité patrimoniale ? – à la jonction du développement régional, de la politique énergétique et de l’efficience tarifaire. N’oublions pas qu’une partie irremplaçable de la structure industrielle du Québec repose sur la disponibilité d’électricité à prix concurrentiel. Pour les clients d’Hydro-Québec, c’est dans l’évolution des tarifs d’électricité que se reconnaît le plus clairement le travail de l’AQCIE et des autres intervenants devant la Régie. Ainsi, depuis l’instauration de la Régie, les grands industriels paient en moyenne aujourd’hui des tarifs de 11,4 % inférieurs aux demandes cumulatives d’Hydro-Québec, et de 13 % sur une base composée. À sa nomination à la tête d’Hydro-Québec, Éric Martel a promis plus de transparence et d’ouverture. Déclarer à la Régie et à ses intervenants les montants dépensés par Hydro-Québec dans ses représentations en est une preuve utile et nécessaire. Puisqu’en définitive les coûts de représentation de toutes les parties se retrouvent dans les tarifs, une répartition plus équitable entre Hydro-Québec et les intervenants servirait mieux les intérêts des clients d’Hydro-Québec, voire de tous les Québécois. - Régie de l’énergie, D-2013-106, R-3809-2012 Phase 2, pp. 44-47.
- Credibility Crisis MAJOR FLAWS THREATEN CREDIBILITY OF NEB ASSESSMENT PROCESS FOR KINDER MORGAN TRANS MOUNTAIN PIPELINE AND TANKERS PROPOSAL, Sierra Club BC, 27 juin 2015
- Régie de l’énergie, D-2013-106, R 3809-2012 Phase 2, pp.25-28
- AARP Report : David V. Goliath, Why consumers are losing New York’s Utility game. Lack of consumer utility advocate office leaves New Yorkers paying some of the highest rates in the nation. Janvier 2014
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