| | Une étude qui confirme l’importance des retombées économiques en région Par Serge Bergeron Président du Conseil de l’AQCIE et Directeur, Développement stratégique des opérations, QIT Fer et Titane | | | Il y a déjà un bon moment que l’on sait que la présence des grandes entreprises consommatrices d’électricité contribue massivement à la création de richesses en région. Mais, enfin, une étude nous permet de chiffrer cette contribution et de la comparer aux sommes d’argent que l’on peut espérer obtenir de l’exportation d’électricité. Comme nous l’anticipions, la balance penche en faveur du maintien de tarifs d’électricité permettant aux grandes entreprises de demeurer concurrentielles sur les marchés mondiaux où elles écoulent les produits qui ont été transformés ici. En fait, la clé du succès passe par un savant équilibre entre transformer l’électricité sur place, comme le font les grandes entreprises consommatrices, ce qui crée des emplois et de la richesse dans les régions du Québec, l’échanger sur le marché ontarien ou nord-américain jusqu’à concurrence de 20 TWh/an ou l’exporter sur ces mêmes marchés. L’étude que l’AQCIE a commandée à la firme de recherche économique indépendante E&B Data révèle que les retombées en région se chiffrent à 14 ¢/kWh. Cela signifie que chaque kWh vendu aux entreprises rapporte 14 ¢ en retombées régionales alors que dans la meilleure des hypothèses, un kWh exporté a rapporté, pour les 13 TWh exportés en 2005, autour de 8 ¢. Pourquoi certains économistes et politiciens s’acharnent-ils à défendre malgré tout un accroissement significatif des exportations même si cela se fait au détriment de la transformation sur place par les grandes entreprises ? Une partie de la réponse réside certainement dans le fait que l’argent ainsi obtenu ne se rend pas au même endroit, même si dans les deux cas, il sert la collectivité. L’argent de l’exportation se rend directement dans les coffres d’Hydro-Québec, qui le reverse en bonne partie au gouvernement sous forme de dividendes. Tandis que l’argent des retombées économiques demeure en partie en région et se traduit en emplois directs et indirects, en entreprises sous-traitantes, en investissements dans des infrastructures, etc. Une autre partie moins visible, car moins directement associable à la décision de maintenir des tarifs en fonction des coûts et non du marché, retourne au gouvernement puisque les grandes entreprises consommatrices ont réalisé des investissements de 20 milliards $ en 10 ans et versent annuellement 1,9 milliard $ au gouvernement du Québec en excluant les taxes foncières et les revenus touchés des ventes d’électricité. Cette étude sur la valeur des retombées économiques en région par kWh était le chaînon manquant de notre argumentaire. En sachant combien le gouvernement et les collectivités retirent du fait que les grandes entreprises consomment de l’électricité pour produire des biens, nous venons de boucler la boucle et avoir convaincu, espère-t-on, nos détracteurs qu’il est rentable de continuer à miser sur les grandes entreprises consommatrices pour le développement économique du Québec et de ses régions. Quand le prix de l’essence monte, le modèle de l’Alberta ressurgit Pour en finir avec les mythes | | En ces temps de flambée des prix de l’essence, il va certainement se trouver des gens pour évoquer le fait que si au Québec, l’électricité se payait comme le pétrole au niveau des prix de marché, la dette de la province se rembourserait toute seule et on serait collectivement plus riches comme les Albertains. Mais, est-ce bien exact? Établissons d’abord certaines différences de base entre les deux ressources qui évoluent dans des marchés radicalement différents. Ainsi, le prix du pétrole est fixé au niveau mondial et l’Alberta est un joueur modeste avec ses 3 % de parts de marché. Les prix de l’électricité sont fixés sur les marchés du Nord-est américain et fluctuent en fonction de l’offre et de la demande. D’ailleurs, pour évaluer la situation, l’AQCIE a fait réaliser un historique des prix d’électricité effectivement payés, calculés sur une base horaire et pour la période du 1er janvier 2005 au 31 décembre 2006. Celle-ci nous révèle que des prix supérieurs à 8¢/kWh ne sont réalisables que 20 % du temps et encore dans un contexte où l’offre d’Hydro-Québec est au niveau actuel. Car, il faut bien réaliser qu’Hydro-Québec, qui est un joueur majeur dans ce marché, peut influencer dramatiquement les prix à la baisse si elle augmente massivement ses exportations, ce qui n’est absolument pas le cas de l’Alberta et de son pétrole. En ce qui a trait aux prix, 92 % du pétrole albertain est exporté alors que 92 % de l’électricité québécoise est consommée par le marché local. Augmenter les tarifs revient donc à taxer les consommateurs au Québec, qui ont déjà payé le développement hydro-électrique et non à faire entrer de l’argent neuf dans les coffres de l’État. De plus, à défaut d’être producteur de pétrole, tout pays en est automatiquement importateur, ce qui n’est pas vrai de l’électricité, qui peut être produite partout, moyennant l’installation de centrales. Les clients potentiels de l’énergie québécoise sont donc beaucoup moins captifs! Rappelons que les tarifs d’électricité sont établis en fonction d’une allocation de coûts et qu’ils sont responsables de plus d’un milliard $ en bénéfices annuels de Hydro-Québec. En outre, les économies du Québec et de l’Alberta ne peuvent être comparées, car dans un cas, les activités d’extraction de pétrole et de gaz, effectuées par des entreprises privées sont continues et structurantes en ellesmêmes pour l’économie de la province tandis que dans l’autre cas, c’est la transformation des matières premières grâce à l’énergie hydro-électrique qui est structurante et fait vivre des communautés. La construction des infrastructures du développement électrique est ponctuelle. En résumé, augmenter les tarifs aux prix de marché revient à imposer une taxe régressive aux consommateurs d’électricité québécois. Exporter de façon massive pour augmenter les bénéfices n’est pas non plus réaliste en raison de la façon dont les prix sont fixés sur les marchés, de la limite des interconnexions et surtout, cela ne s’avère pas aussi rentable que d’aucun aurait pu le croire à première vue. | Plus que jamais à la croisée des chemins Par Luc Boulanger Directeur exécutif, AQCIE | | | Avec l’élection le 26 mars dernier d’un gouvernement minoritaire à Québec, il nous faudra reprendre le bâton du pèlerin et retourner rencontrer les élus, qu’ils soient nouveaux députés ou réélus, pour bien faire comprendre notre dossier et l’importance pour les grandes entreprises consommatrices de pouvoir compter sur une politique tarifaire stable, juste et prévisible. Nous allons aussi continuer à occuper les tribunes qui s’offrent à nous pour argumenter en faveur d’un équilibre entre la transformation sur place par les grandes entreprises, les échanges d’électricité et l’exportation des surplus dans l’optique d’une gestion optimale des opportunités et en tenant compte de l’ensemble des éléments, y compris les incontournables, et maintenant chiffrées, retombées économiques. Nous avons participé au cours des derniers mois à des débats sur l’exportation d’électricité, notamment à Télé-Québec à l’émission Il va y avoir du sport, animée par Marie-France Bazzo. Nous avons aussi développé un argumentaire économique solide pour étayer notre thèse en faveur de privilégier la transformation sur place dans les régions à l’exportation. Nous avons amorcé des discussions sérieuses avec des économistes tenants de la thèse de l’exportation massive, comme Jean- Thomas Bernard. Les prochains mois seront cruciaux, car des décisions qui seront prises en matière de stratégie énergétique dépendent la présence et le développement de plusieurs industries consommatrices dans les régions. Un apport important à l’économie du Québec Quelques indicateurs économiques récents1 | | Les grandes entreprises consommatrices d’électricité sont responsables de : • | Plus de 25 milliards $ d’exportations en 2006 | • | 34 % de toutes les exportations de biens et de marchandises au Québec | | Elles ont connu : • | Une croissance annuelle moyenne de 7 % depuis 1992 | • | Une croissance de leur productivité du double de celle du reste du secteur manufacturier | | 1 Source ISQ, compilation E&B DATA Plusieurs articles traitant de nos positions ont été publiés. Voici quelques liens intéressants. Gare au mirage de l’exportation, Hélène Baril, La Presse http://www.aqcie.org/pdf/mirage_exportation.pdf Alcoa contredit Hydro, Hélène Baril, La Presse http://www.aqcie.org/pdf/alcoa_contredit_hydro.pdf Les entreprises paralysées, Hélène Baril, La Presse http://www.aqcie.org/pdf/entreprises_paralysees.pdf La réplique des énergivores, Claude Turcotte, Le Devoir http://www.ledevoir.com/2007/02/24/132384.html Les grands industriels défendent leur position devant les économistes Par Luc Boulanger Directeur exécutif, AQCIE | | À maintes reprises au cours des derniers mois, et plus particulièrement suite à l’entente intervenue entre Alcan et le gouvernement du Québec sur les investissements qui seront effectués par Alcan au Saguenay, plusieurs économistes, dont en particulier ceux de l’Institut économique de Montréal, de Cyrano et de la chaire GRE N de l’Université Laval, ont remis en question cette stratégie du gouvernement. En effet, certains allèguent notamment que les emplois qui seront créés suite à ces investissements sont subventionnés à la hauteur de 300 K $ par année. Ces économistes remettent en question l’idée de continuer à consentir des blocs d’électricité aux grandes entreprises et suggèrent plutôt de miser sur l’exportation massive de notre électricité vers les marchés limitrophes, scénario qui, selon eux, est de loin le plus payant pour la société québécoise. C’est ainsi que nous avons eu l’occasion, suite à une aimable invitation du professeur Jean-Thomas Bernard de l’Université Laval de participer à une session spéciale de la chaire en économique de l’énergie électrique, dans le cadre du 47e congrès annuel de la Société canadienne de science économique, qui se tenait à Québec du 16 au 18 mai dernier. Le sujet traité était «Usage de l’électricité du Québec: développement industriel ou exportation?». Les panélistes étaient Marcel Boyer, vice-président et économiste en chef de l’Institut économique de Montréal, professeur et titulaire de la Chaire Bell à l’Université de Montréal, Mario Carrier, professeur à l’École supérieure d’aménagement du territoire et du développement, Alain Dubuc journaliste à La Presse ainsi que moi-même. M. Boyer a repris les thèmes qui ont été couverts abondamment par les médias sur cette question, notamment le coût par emploi créé tout comme l’idée d’exporter massivement notre électricité et d’en relever les prix domestiques pour les enligner avec ceux des marchés limitrophes. M. Boyer a même soutenu que les activités d’Alcan sont de fait nuisibles au développement du Saguenay. Il est intéressant de noter que ce dernier a fait cavalier seul sur ce terrain. Les grands industriels soutiennent quant à eux que plus on exporte moins c’est payant et qu’en fait, la transformation de l’électricité en région crée de la richesse, les estimations les plus récentes étant à la hauteur de 14 ¢ par kilowatt-heure utilisé, un prix beaucoup plus attrayant que le prix marginal que l’on peut espérer obtenir sur les marchés d’exportation. À cause des limitations physiques des interconnexions et des périodes de temps restreintes où les prix sont élevés, soit à peine 20 % du temps, le prix marginal maximal jugé possible est d’environ 6 ¢ kilowatt-heure. C’est ainsi que les industriels proposent, à l’instar d’un portefeuille d’investissements équilibré, de miser à la fois sur la transformation de l’électricité, sur l’exportation des surplus et sur la maximisation des échanges avec nos voisins. Le professeur Carrier quant à lui a fait les constats suivants. Tout d’abord à cause de sa pérennité, la grande industrie s’est enracinée dans une région, tout comme le réseau de sous-traitance et les PME qui gravitent autour; on peut ainsi parler du développement d’une culture entrepreneuriale. Il est d’avis que si le système économique régional s’effondre, on ne peut pas le reconstruire. Il est dommage que l’on ignore et méprise cet état de fait. Le professeur Carrier se demande si on peut mieux calculer les retombées et si les méthodes de calcul avancées sont adéquates. Il suggère que le réseau de PME pourrait être plus innovateur et exporter davantage. Il propose qu’avec une plus grande participation à la gouvernance de la région, les grandes entreprises pourraient accroître les retombées. M. Alain Dubuc déclare d’entrée de jeu que les outils de mesure pour évaluer chacun de ces scénarios manquent cruellement, que le débat n’est pas achevé et que sa position a évolué sur cette question. Il remarque que l’approche proposée par le professeur Jean Thomas Bernard est une façon de poser le problème, mais il faut lui apporter des nuances lorsqu’on considère le potentiel des exportations. Il ajoute qu’il n’est pas approprié d’intégrer tous les coûts de la même façon, notamment lorsqu’on considère la valeur des droits hydrauliques. Selon lui, le calcul des retombées est un magma qui ne veut pas dire grand chose et se demande si on ne devrait pas ultimement considérer l’effet sur la productivité, la recherche et le développement avec transfert technologique, les activités d’un siège social au Québec, l’imposition d’une culture internationale qui rend la main-d’oeuvre plus flexible. Enfin, l’absence de développement comporte un coût et on doit faire ce qu’on peut avec ce que l’on a. Finalement, une société ne se trompe pas en encourageant ce qu’elle fait traditionnellement. Nous croyons qu’une telle tribune, où les tenants de positions opposées ont l’occasion de défendre leur point de vue, est salutaire pour permettre d’apporter un réel éclairage sur ces enjeux plutôt complexes, d’autant plus que cette tribune s’adressait à un public averti. Nos indications sont à l’effet que ces échanges ont été très bien reçus par la communauté des économistes. Nous sommes d’avis qu’il y a lieu de continuer de débattre de cette question, dans l’espoir que la société québécoise fasse le meilleur choix sur l’utilisation de ses ressources. | | |