PRINTEMPS 2014  
VOLUME 8 | NUMERO 1  
 

 
Pour lire le bulletin, au format PDF, il suffit de cliquer ici ! ›


 
 




Qui doit payer pour l’énergie éolienne ?


Par Olivier Charest

Analyste pour l’AQCIE et le CIFQ


Dans les deux derniers dossiers tarifaires, Hydro-Québec Distribution (HQD) mentionnait la mise en service de nouveaux parcs éoliens comme l’un des principaux éléments expliquant les hausses demandées. Cette tendance risque de se poursuivre au cours des prochaines années. Dans ce contexte, il est intéressant de se pencher sur l’allocation des coûts d’approvisionnement post-patrimonial au Québec, à la lumière de l’expérience ontarienne et allemande, où des mesures adoptées au cours des dernières années permettent de réduire la facture de l’électricité vendue aux industriels.

En Ontario, les consommateurs d’électricité ont la possibilité de s’approvisionner directement sur le marché (IESO), en payant un prix qui varie d’heure en heure (HOEP). À ce prix s’ajoutent certains tarifs – notamment transport et distribution – de même qu’un frais relatif au « Global Adjustment » (GA).

Le GA permet principalement de récupérer les coûts d’approvisionnements qui ne sont pas couverts par le prix HOEP : considérant que certains producteurs ontariens obtiennent un prix fixe pour l’électricité qu’ils injectent sur le réseau, quelqu’un doit assumer la différence en comparaison du HOEP. Pour l’instant, le GA est surtout composé des coûts fixes liés aux centrales nucléaires ou au gaz naturel; mais avec la mise en service de nouveaux parcs de production d’énergie renouvelable (surtout solaire, éolienne et biomasse), prévue au cours des prochaines années, le GA sera de plus en plus composé du surcoût associé à ces filières énergétiques.1

L’intérêt du GA pour l’AQCIE réside dans la méthode utilisée pour en allouer les coûts. À l’origine, la facture globale du GA était répartie entre les clients sur la base des volumes d’énergie consommée (en MWh). Ceci coûtait cher aux clients à facteur d’utilisation élevé comme les industriels. Ce système soulevait aussi plusieurs questions, d’un point de vue économique, puisque le GA était alors davantage composé de coûts liés à la puissance, plutôt qu’à l’énergie.2

Depuis 2011, les clients dont la puissance dépasse 5 MW, en moyenne, peuvent payer leur part du GA selon une nouvelle formule qui se base sur la puissance plutôt que sur l’énergie : ils peuvent dorénavant payer une part du GA proportionnelle à leur contribution (en MW) aux cinq heures de plus haute demande durant l’année. Ainsi, un client dont la consommation aura compté, lors des cinq heures de pointe, pour 100 MW d’une pointe de 25 000 MW devra payer 0,4 % du GA (soit 24 M$ si le GA atteint 6 G$ pour une année donnée).

Cette nouvelle formule permettrait présentement aux grands consommateurs d’épargner près de 20 $/MWh (par rapport au coût attribué aux autres clients), tout en les incitant à réduire leur consommation à la pointe. Selon l’Ontario Power Authority (OPA), ce « rabais » est appelé à croître avec le GA, atteignant de 30 à 40 $/MWh dès 20153, si la formule n’est pas modifiée d’ici là.4 Les industriels ontariens seront donc épargnés, dans une certaine mesure, des surcoûts associés aux énergies nouvelles.

Modèle québécois

Au Québec, dans les premières années qui suivirent la pleine utilisation du bloc d’électricité patrimoniale, la Régie a eu à trancher sur l’allocation des coûts d’approvisionnements post-patrimoniaux. L’approche qu’elle a retenue ressemble à celle qui prévalait jusqu’en 2011 en Ontario à l’égard du GA, en ce qu’elle alloue ces coûts principalement selon les volumes d’énergie consommés : pour l’année 2014, les grands industriels, qui représentent 32 % des ventes d’énergie de HQD, se voient allouer 31 % des coûts post-patrimoniaux.5 Cette méthodologie leur attribue donc une part importante du surcoût relatif aux énergies nouvelles, et ce, même si ce surcoût ne découle pas de besoins réels en énergie, mais plutôt de choix de société.

Considérant que les grands industriels québécois ne représentent que 17-18 % des besoins en puissance de HQD6, ils auraient avantage à ce que l’on se rapproche du modèle ontarien. On ne pourrait peut-être pas imputer l’ensemble des coûts d’approvisionnement post-patrimoniaux en fonction des besoins de puissance; mais on ne saurait, non plus, justifier la formule actuelle qui met trop l’accent sur l’énergie. Ceci est d’autant plus vrai dans le cas du surcoût attribuable aux énergies renouvelables ainsi que des coûts échoués relatifs à la problématique des surplus. Il serait donc temps de revoir l’allocation de tous les coûts post-patrimoniaux d’approvisionnement.

Cela dit, l’allocation des coûts n’est qu’une des étapes dans l’élaboration des tarifs. En effet, même si la hausse des coûts de HQD, pour une année donnée, est attribuable à une classe tarifaire en particulier, la Régie peut décider d’augmenter uniformément les tarifs de toutes les classes; annulant ainsi, en quelque sorte, sa décision sur l’allocation des coûts. C’est d’ailleurs ce qu’elle fait généralement7, et ce, malgré le fait qu’elle ait décidé, en 2007, que les différents tarifs devaient tenir compte de l’évolution des coûts attribuables à chaque catégorie de client.

Dans la mesure où la Régie autorise des hausses uniformes de tarifs, le clivage se creusant entre tarifs et coûts se traduit alors en interfinancement – le tarif L couvrant 117 % aujourd’hui de ses frais, contre 84 % pour le tarif D. Ainsi, avant que les industriels puissent profiter d’une nouvelle allocation des coûts d’approvisionnement post-patrimoniaux, encore faut-il que la Régie accepte d’accorder des hausses différenciées qui reflèteraient l’évolution des coûts.

De l’autre côté de l’Atlantique (et du Rhin) : Energiewende

Notons que l’Ontario n’est pas la seule juridiction à avoir assoupli ses règles en faveur des industriels au cours des dernières années. En Allemagne, les industriels seraient présentement exemptés du surcoût associé aux énergies nouvelles8, lequel dépasserait 60 Euros par MWh9 en 2014. Qui plus est, le coût de transport d’électricité qui est facturé aux grands consommateurs industriels, par MWh, ne serait que 10 % du tarif ordinaire.10 Ces règles pourraient changer au cours des prochains mois – notamment en raison de procédures intentées contre l’Allemagne devant la Commission européenne11 – mais force est de constater que les allemands ont pris les grands moyens pour protéger leur industrie.

Le Québec saura-t-il s’inspirer de telles pratiques ? fin

Notes

  1. Une partie moins importante du GA porte aussi sur des mesures de gestion de la demande. Sur la répartition, voir les pages 10 et 17 de
    http://www.powerauthority.on.ca/sites/default/files/page/Ryerson-GAM-Presentation.pptx
  2. Pour l’exercice 2011-2012, 60 % des coûts du GA sont attribuables à la puissance, alors que seulement 3 % ont trait à l’énergie, selon Navigant, un consultant retenu par l’IESO. Voir : http://ieso-public.sharepoint.com/documents/consult/se106/se106-20140128-Global_Adjustment_Review_Report.pdf, page 25
  3. Supra, note 1, p. 21
  4. L’IESO vient de terminer un processus de révision du GA, à notre connaissance, aucun changement ne lui a encore été apporté :
    http://ieso-public.sharepoint.com/Pages/Participate/Stakeholder-Engagement/SE-106.aspx
  5. http://publicsde.regie-energie.qc.ca/projets/222/DocPrj/R-3854-2013-B-0045-Demande-Piece-2013_08_02.pdf page 16.
  6. http://publicsde.regie-energie.qc.ca/projets/232/DocPrj/R-3864-2013-B-0007-Demande-Piece-2013_11_01.pdf page 20.
  7. Cette année fait figure d’exception, notamment en raison de l’indexation du tarif patrimonial s’appliquant aux tarifs autres que le tarif L. Malgré tout, il semble que l’augmentation du tarif L sera encore une fois supérieure à l’augmentation des coûts attribuable à cette classe tarifaire.
  8. Les textes officiels (en allemand) sont disponibles à : http://www.gesetze-im-internet.de/eeg_2009/__40.html et
    http://www.gesetze-im-internet.de/eeg_2009/__41.html. Pour une traduction non-officielle, voir :
    http://www.erneuerbare-energien.de/fileadmin/Daten_EE/Dokumente__PDFs_/eeg_2013_bf.pdf (sections 40 et 41)
  9. http://www.germanenergyblog.de/?p=14559
  10. http://www.gesetze-im-internet.de/stromnev/__19.html et http://www.germanenergyblog.de/?p=13610
  11. http://europa.eu/rapid/press-release_IP-13-1283_en.htm

Notes

Retour au sommaire ›


 
 
  L’ÉNERGIQUE est le bulletin d’information de l’AQCIE. Il est publié quatre fois par année à l’intention des membres et partenaires de l’Association. Toute reproduction est autorisée à condition d’en mentionner la source et de nous en informer au dg@aqcie.org