JUIN 2013  
VOLUME 7 | NUMERO 2  
 

 
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dossier
Troisième partie :
Tarification ou taxation

Par Luc Boulanger

Directeur exécutif, AQCIE

Avec la collaboration d’Olivier Charest, analyste pour l’AQCIE et le CIFQ


Hydro-Québec et le gouvernement ont connu de belles années sur les marchés d’exportation, surtout entre 2005 et 2008. Depuis, l’effondrement des prix sur les marchés a un effet à la baisse sur le bénéfice net de la société d’État, que l’on peut chiffrer à des centaines de millions - voire un milliard - de dollars de moins par année, en fonction des volumes présentement disponibles à l’exportation.

Dans son dernier budget, le gouvernement ne se cachait pas de voir là une justification pour aller piger dans les poches des consommateurs d’électricité, en maintenant les tarifs à des niveaux artificiellement élevés qui ne tiennent pas compte des gains d’efficience.1 C’est pourtant un gouvernement du Parti Québécois qui avait promis, il y a 13 ans, de ne pas faire supporter par les consommateurs les risques des marchés externes.

Avec les récents amendements proposés par le gouvernement, on voit maintenant que ce ne sont pas seulement les charges d’exploitation qui seraient utilisées pour hausser le bénéfice du gouvernement, mais aussi les approvisionnements. Le gouvernement songerait même à intégrer des subventions d’Hydro-Québec au transport en commun dans la base de tarification. On pourrait y voir une manière détournée et occulte pour l’État de se financer.

Certains diront que ce n’est pas grave, que le gouvernement peut se servir de la « marge de manœuvre » des tarifs d’Hydro-Québec puisqu’ils seraient parmi les plus bas en Amérique du nord. Si cela est vrai pour les consommateurs résidentiels – qui bénéficient de l’interfinancement des autres classes tarifaires – ce ne l’est pas dans le cas des industriels, dont les tarifs sont plus élevés que ceux du Manitoba et de la Colombie-Britannique. Pour le secteur de l’aluminium, on constate par ailleurs que le tarif L se retrouve en milieu de peloton (légèrement moins compétitif que la médiane) à l’échelle mondiale [voir Le tarif L n’est pas une aubaine, de Benoît Pepin dans le présent numéro de L’Énergique].

D’autres diront qu’il est préférable d’augmenter les tarifs des services publics que les taxes sur la consommation, et qu’il est préférable d’augmenter ces taxes et tarifs que les impôts. Il est vrai que la fiscalité crée généralement des distorsions dans l’économie et que certaines distorsions sont moins dommageables que d’autres.2 Cela ne veut toutefois pas dire qu’il faille toujours privilégier une augmentation des tarifs aux autres types de fiscalité (ou à une réduction des dépenses).

Au contraire, la tarification atteint son niveau optimal lorsqu’elle permet de récupérer l’ensemble des coûts requis pour offrir le service en question, et ce, auprès des bonnes personnes. C’est le principe de l’utilisateur-payeur. Lorsque les tarifs dépassent ces coûts, on ne parle plus de tarification mais bien de taxation. Or, non seulement les revenus d’Hydro-Québec sont-ils supérieurs à ses coûts, mais en plus la société d’État arrive à réaliser un rendement enviable, lequel a varié entre 14,5 % et 18,5 % au cours des cinq dernières années.

On pourrait répondre qu’une telle analyse est erronée, puisqu’elle ne tient pas compte du coût d’opportunité d’Hydro-Québec, qui pourrait vendre à plus haut prix son électricité sur les marchés avoisinants. Une telle réponse souffre de deux graves lacunes.

D’abord, les interconnexions fonctionnent pratiquement à pleine capacité aux heures de pointe, les plus lucratives. En fait, les surplus d’HQP sont tellement importants qu’elle doit aussi exporter de grandes quantités d’énergie à l’extérieur des heures de pointe, alors que le prix sur les marchés tombe souvent sous le niveau du tarif patrimonial. Or, pour mesurer le véritable coût d’opportunité, c’est ce revenu marginal, plutôt que le revenu moyen, qu’il faut regarder. De plus, on ne résoudrait pas ce problème en ajoutant de nouvelles interconnexions, puisque leur coût viendrait gruger une bonne part du bénéfice obtenu en vendant davantage aux heures de pointe.3

Ensuite, les prix sur ces marchés ne sont pas statiques : au contraire, ils sont constamment réajustés en fonction de l’offre et de la demande. En ajoutant trop d’électricité québécoise sur ces marchés, on risquerait de faire tomber les prix.

En fait, si les consommateurs québécois sont captifs d’Hydro-Québec, celle-ci est elle-aussi, dans une certaine mesure, captive de son marché. Ainsi, pour une très grande part de l’électricité actuellement consommée au Québec, le coût d’opportunité n’est pas une donnée pertinente.

Les mesures proposées par le gouvernement dans le cadre du projet de Loi 25 relèvent ainsi de la taxation. Elles imposent aux consommateurs un coût qui ne se justifie pas en vertu des principes de la tarification. Il serait préférable que le gouvernement trouve d’autres moyens de boucler son budget et de financer ses investissements. Pour ceux qui ont trait à l’énergie, il peut notamment les imputer à Hydro-Québec Production, à même les dividendes que cette division lui verse.

Tous gagneraient à ce que la Régie puisse exercer pleinement et exclusivement ses droits et prérogatives, en veillant notamment à ce qu’aucun coût injustifié ne soit imposé aux consommateurs d’électricité.

Notes

1. Voir le Plan budgétaire 2013-14 aux pages A-101 et A-102

2. Dans certains cas, ces distorsions peuvent être bénéfiques, notamment lorsqu’elles forcent les individus et entreprises à internaliser le coût de leurs externalités.

3. Voir à ce sujet l’article d’Olivier Charest en page 8 de LÉnergique de décembre 2012

Notes

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