JUIN 2013  
VOLUME 7 | NUMERO 2  
 

 
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dossier
Première partie :
La Régie de l’énergie

Par Luc Boulanger

Directeur exécutif, AQCIE

Avec la collaboration d’Olivier Charest, analyste pour l’AQCIE et le CIFQ


Entre 1996 et 2001, le législateur québécois, alors contrôlé par un gouvernement majoritaire du Parti Québécois, a jeté les bases du cadre actuel de la tarification de l’électricité au Québec. Le gouvernement d’alors était très fier de cette réforme qui devait emmener stabilité, équité et transparence dans l’établissement des tarifs d’électricité. On parlait ainsi de dépolitiser la question des tarifs en la confiant à un tribunal d’experts indépendants, la Régie de l’énergie, pour les déterminer en fonction de principes objectifs, tels que celui de l’utilisateur-payeur, et dans le cadre d’un débat ouvert. Voici ce qu’en disait le ministre des ressources naturelles de l’époque :

« La création d’une Régie de l’énergie, dotée de pouvoirs décisionnels, apportera transparence et équité dans le fonctionnement du secteur énergétique québécois, dans la définition des tarifs des entreprises réglementées. Sa mise en place garantira que les choix d’investissement sont effectués en connaissance de cause et que le public y participe pleinement. »1

En dépolitisant le débat, on voulait notamment éviter que les hausses et les baisses se fassent au gré des sondages et de l’imminence des élections2, ou en fonction des besoins de liquidités de l’État. On voulait aussi trouver un autre forum que celui des commissions de l’Assemblée nationale, lequel « ne permettait pas un examen suffisamment approfondi des causes tarifaires, en raison du temps disponible à la commission parlementaire, des ressources limitées à la disposition du ministère des Ressources naturelles, ainsi que de la difficulté de contre-expertiser adéquatement la haute direction d’Hydro-Québec. »3 On cherchait enfin à s’attaquer au conflit d’intérêt découlant du double rôle assumé par l’État, le gouvernement étant alors à la fois régulateur et actionnaire.

En fonction du cadre réglementaire instauré en 1996 par la loi 50, la Régie avait compétence pour traiter non seulement des composantes « distribution » et « transport », comme c’est présentement le cas, mais aussi de la composante « fourniture ». Dans un avis qu’elle a rendu sur la question le 11 août 1998, la Régie a recommandé que cette dernière composante des tarifs soit basée sur les coûts réels d’Hydro-Québec Production (HQP). La Régie recommandait aussi que les risques et bénéfices inhérents aux exportations et aux contrats spéciaux soient assumés par l’actionnaire d’Hydro-Québec (le gouvernement) plutôt que par les consommateurs.

Modification des pouvoirs de la Régie

Cette dernière recommandation a été reprise le 26 mai 2000 par le ministre des Ressources naturelles de l’époque lors de son allocution devant l’Assemblée nationale, à l’égard du projet de loi 116. De manière générale, ce projet de loi venait modifier les pouvoirs de la Régie pour permettre à HQP d’échapper à la réglementation. À cette fin, on a « fonctionnellement séparé » la division Distribution (HQD) du reste d’Hydro-Québec – y compris d’HQP – comme on l’avait fait en 1997 avec la division TransÉnergie (HQT), répondant alors aux demandes de la Federal Energy Regulatory Commission (FERC) des États-Unis.

La loi 116 venait aussi établir le coût de la composante fourniture des tarifs à 2,79 ¢/kWh jusqu’à ce que la consommation atteigne 165 TWh; au-delà de ce « bloc patrimonial », fourni par HQP, HQD comblerait ses besoins d’approvisionnement en procédant à des appels d’offres. Tant pour la détermination de ses besoins que pour la conduite des appels d’offres et la conclusion de nouveaux contrats d’approvisionnement, HQD serait soumise à la compétence de la Régie.

Ce tarif patrimonial de 2,79 ¢/kWh entraînait un coût de fourniture plus élevé que celui qui eût prévalu si le gouvernement avait suivi l’avis de la Régie et déterminé cette composante sur la base du coût réel d’HQP.4 Face à cette situation, les consommateurs étaient donc en droit de s’attendre, à tout le moins, à ce que le cadre réglementaire soit fixé pour de bon et que le gouvernement laisse la Régie faire son travail. Le principe d’équité énoncé par le gouvernement commande en effet que l’on évite de changer indûment les règles une fois le jeu commencé.

Rôle interventionniste du Gouvernement dans la réglementation

Dans son budget et ses récentes actions, le gouvernement indique clairement aujourd'hui qu’il a l’intention de pousser ses prérogatives et de restreindre celles de la Régie de l’énergie. D’abord par l’imposition d’une « mesure transitoire » pour capturer les gains d’efficience exigés d’Hydro-Québec, mesure qui empêche la Régie d’appliquer le traitement réglementaire habituel à ces gains d’efficience.

Le gouvernement agit aussi du côté des approvisionnements. C’est ainsi qu’en mai 2013, il a annoncé son intention de procéder à l’achat de 800 MW de nouvelle capacité éolienne, à un coût pouvant dépasser les 12,5 ¢/kWh, lorsque l’on tient compte des coûts de branchement et d’équilibrage. On peut sans peine imaginer qu’il voit une bonne partie de ces coûts, sinon la totalité, absorbés par HQD... et ses clients.

On comprend que le gouvernement cherche, par ce geste, à conserver pendant deux ou trois années de plus les emplois en Gaspésie liés à l’industrie éolienne et à favoriser le développement de certaines communautés par l’implantation d’éoliennes. C’est une décision de développement économique et régional qui peut se justifier, le cas échéant, en fonction d’études économiques. La même logique s’appliquerait aussi à la petite hydraulique, à la biomasse et à l’énergie solaire : s’il croit au développement d’une grappe industrielle « clean tech » s’inscrivant dans une mouvance vers une économie verte5, rien n’empêche le gouvernement de subventionner ces industries en achetant à haut prix leur électricité.

Cependant, les clients d’HQD n’ont pas à en faire les frais. Pas plus que le gouvernement ne devrait tenter d’imposer par voie législative, dans des amendements à la Loi 25, une hausse des tarifs qui pourrait atteindre 1,9 %, selon lui6, sachant que cette énergie n’est pas nécessaire. N’oublions pas que les surplus d’électricité d’HQD imposent déjà des coûts importants aux consommateurs, surtout en contexte de bas prix sur les marchés.

En fait, le gouvernement a déjà montré la voie à suivre avec un autre outil de développement économique régional, soit les contrats spéciaux, dont la note est payée par HQP (et son actionnaire) plutôt que par les consommateurs. Une telle façon de faire respecte davantage les principes énoncés à l’appui de la loi 116 et de la séparation fonctionnelle. Elle respecte aussi davantage la Régie de l’énergie et l’intérêt de la clientèle captive d’Hydro-Québec que la Régie a pour mission de défendre.

Notes

1. L’Énergie au service du Québec : une perspective de développement durable. Ministère des ressources naturelles. 1996. Page 3.

2. Voir notamment : Jean-Thomas Bernard & Stephen Gordon & Josée Tremblay, 1997. «Electricity Prices and Elections in QuebecCanadian Journal of Economics, Canadian Economics Association, vol. 30(3), pages 505-25, August.

3. Supra, note 1, page 20

4. C’est peut-être pourquoi le législateur d’alors avait prévu que le gouvernement puisse réviser le tarif patrimonial à la baisse mais qu’il faudrait un changement législatif pour le faire augmenter. D’ailleurs, lors de cette même allocution du 26 mai 2000 devant l’Assemblée nationale, le ministre annonçait que ce tarif allait baisser avec le temps, avec l’amortissement des centrales d’HQP.

5. Nous en profitons au passage pour souligner l’initiative de l’Alliance SWITCH, qui pousse actuellement pour un débat sur l’économie verte au Québec.

6. Ce chiffre est tiré d’un document intitulé « Amendements à la Loi sur la Régie de l’énergie, à la Loi sur Hydro-Québec et au projet de loi #25 » daté du 6 juin 2013. Il a été repris par les médias, notamment la chaîne Argent

Notes

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