Hiver 2014-2015  
VOLUME 8 | NUMERO 3  
 

 
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Mot du directeur exécutif

Projet de loi 28 : LA voie à éviter



Par Luc Boulanger

Directeur exécutif, AQCIE

S’il n’est pas aisé de trouver le fil conducteur des récents choix du gouvernement en matière d’électricité, la voie qu’il emprunte dans les amendements relatifs à l’énergie du Projet de loi 281 est clairement à éviter.

Difficile à suivre…

Malgré les coûts de gestion déjà faramineux des surplus d’électricité d’Hydro- Québec, le gouvernement a relancé en début de mandat les projets de petites centrales hydrauliques, abandonnés pour toutes les bonnes raisons par le gouvernement précédent.

Le 24 septembre dernier, le gouvernement adopte un Décret de préoccupations2 où il invite la Régie de l’énergie à tenir notamment compte, dans la fixation de ses tarifs, de l’« effritement de la compétitivité des tarifs industriels d’électricité » et de « la capacité de payer des ménages à faible revenu ». Cela ne l’empêche cependant pas de contribuer, avec l’énergie éolienne et son intégration, la part du lion de l’augmentation tarifaire de 2015, comme ce fut le cas pour les deux dernières années, et comme ce le sera dans l’avenir prévisible.

De plus, il a récemment été question en commission parlementaire, à Québec, d’ajouter de nouveaux appels d’offre de production d’énergie éolienne à partir de 2016. La stratégie du gouvernement serait donc clairement d’approvisionner le marché québécois en priorité avec de l’électricité post-patrimoniale coûteuse, déplaçant ainsi l’électricité patrimoniale – produite à moins de 1 ¢/KWh – pour être valorisée sur les marchés d’exportation au bénéfice de l’actionnaire d’Hydro-Québec.

D’ailleurs, si le récent appel d’offres de 450 MW a attiré des propositions dépassant les 6 000 MW, c’est sans doute parce que les conditions en étaient très attrayantes pour les producteurs… et tout le contraire pour les clients d’Hydro-Québec Distribution (HQD).

Après s’être opposé en juin 2013, en Commission des finances publiques, à la Loi 253 du gouvernement précédent, visant essentiellement les mêmes objectifs à l’égard de l’électricité, le gouvernement libéral reprend ces mauvaises décisions à son compte et va encore plus loin dans la Loi 28.

… surtout sur une voie qu’il faut éviter à tout prix

Les amendements relatifs à l’énergie du Projet de Loi 28 sont néfastes pour l’ensemble des Québécois et surtout dévastateurs pour les industries grandes consommatrices d’électricité qui, faut-il le rappeler, constituent le moteur économique de régions entières et contribuent de façon stratégique au développement du Québec. Ces amendements viendraient :

  • Politiser le processus règlementaire en éliminant l’obligation de la Régie de l’énergie de n’autoriser un appel d’offre, pour un approvisionnement post-patrimonial, que lorsque des besoins à satisfaire ont été démontrés ;
  • Renier le droit des Québécois et des industriels à l’énergie patrimoniale à faible coût;
  • Révoquer le partage des trop-perçus d’Hydro-Québec décidé par la Régie;
  • Empêcher la valorisation des surplus du Distributeur, en lui interdisant l’accès au marché.

Un risque sérieux pour la structure industrielle du Québec

L’industrialisation du Québec et la construction des grands barrages sont allées de pair. Les industries disposaient d’électricité à bon prix, et le Québec y trouvait des débouchés qui contribuaient à l’amortissement du réseau de barrages dont la production constitue l’énergie patrimoniale.

L’évolution de la mondialisation de l’économie et, surtout, la diminution de la compétitivité des tarifs industriels d’électricité québécois ont fait diminuer la part de l’électricité utilisée par les industries grandes consommatrices d’électricité. En fait, leur part de l’électricité distribuée au Québec a chuté de près du quart entre 2006 et 2014, passant de 41,8 % à 32,2 %. Et le déclin se poursuit dans les prévisions de HQD pour 2015 :

Tableau 1

Dans ce tableau, on remarque aussi que l’approvisionnement des contrats à partage de risque (tarifs spéciaux) demeure stable, tandis que la consommation du tarif L aura pour sa part diminué de 36 % en dix ans, une catastrophe.

C’est aux États-Unis que ça se passe

Le secteur manufacturier reprend son effervescence aux États-Unis mais poursuit sa chute au Québec, où il a dégringolé du tiers de 2002 à 20144. Aucun ajout important de capacité et aucune nouvelle implantation industrielle d’envergure ne se sont faits au Québec depuis plus de 10 ans.

Plusieurs grands industriels établis au Québec qui possèdent aussi des installations dans le sud des États-Unis, rapportent que les autorités politiques y sont très disposées à faire des affaires, offrant des conditions nettement plus favorables qu’ici. En plus de tarifs affichés compétitifs, ceux-ci s’assortissent de plusieurs options tarifaires, dont l’électricité en temps réel, qui assurent l’industriel d’un coût moyen d’électricité des plus avantageux. Plus de 60 milliards $ US d’investissements sont actuellement considérés pour des implantations industrielles dans ces États. L’activité y est telle que le recrutement de main-d’œuvre qualifiée, notamment les ingénieurs, pose problème pour la construction de ces projets.

Le gouvernement libéral, et le gouvernement péquiste avant lui, ont reconnu que le tarif L n’était plus compétitif en annonçant un tarif de développement, d’abord de 10 % inférieur au tarif L et ensuite porté à 20 %, afin d’attirer de nouvelles implantations. Mais, comme nous venons de le voir, il suffit de franchir la frontière des États-Unis pour avoir accès à des tarifs aussi avantageux, et parfois encore plus, sans conditions et sans limite de temps. En fait, HQD n’a prévu aucune demande additionnelle d’énergie en 2015-2016 associée au tarif de développement. Manifestement, les grands industriels ne se bousculent pas pour investir au Québec. Au contraire, comme l’indique la baisse additionnelle d’un térawattheure dans les prévisions de ventes au Tarif L de HQD en 2015, les industries québécoises ont plutôt tendance à fermer ou à délocaliser.

Le tarif de développement industriel, c’est trop peu, trop tard. Un rabais temporaire ne suffit pas à rendre le tarif L concurrentiel.La preuve en est patente dans le secteur de l’aluminium, comme nous le démontrions dans notre mémoire devant la Commissions sur les enjeux énergétiques du Québec5 :

Graphique 1

Et elle l’est aussi dans de nombreux secteurs industriels, comme l’indique cet autre exemple tiré du même mémoire, illustrant les prix payés par un industriel possédant des installations au Québec et ailleurs en Amérique du Nord :

Graphique 2

Le tarif L est si peu favorable dans l’économie mondialisée actuelle que son application aurait provoqué la fermeture, en 2015, des activités de l’un des plus grands fabricants d’aluminium au Québec, entraînant la perte de milliers d’emplois et la mise sur respirateur économique de régions entières.

Malgré cela, le gouvernement n’hésite pas à augmenter le tarif L, en ajoutant aux coûts de l’électricité post-patrimoniale par des appels d’offre d’énergie éolienne déraisonnables, en reniant toute autorité de la Régie de l’énergie en matière d’approvisionnements et en se réservant non seulement l’électricité patrimoniale, mais aussi les trop-perçus d’Hydro-Québec dans ses activités réglementées.

Ces mesures du Projet de Loi 28 entraîneront immanquablement des délocalisations et des fermetures de moteurs économiques, malheureusement plus tôt qu’on ne le croit.

De porteur d’eau à porteur d’hydroélectricité ?

Pourquoi ne pas se servir en premier de l’électricité patrimoniale pour dynamiser notre structure industrielle, plutôt que de l’exporter pour favoriser nos concurrents ?

C’est se priver de beaucoup plus que de tarifs d’électricité. Les industries grandes consommatrices d’électricité injectent ici plus de 16 cents par kWh utilisé, en achat d’électricité, en masse salariale et en dépenses en matières premières, en biens et en services, comme il l’était également démontré dans notre mémoire :

Graphique 3

L’équation est encore plus négative lorsque le manque de compétitivité des tarifs industriels force une entreprise à délocaliser ou à cesser ses activités. En plus des retombées économiques et des tarifs d’électricité perdus, il faut ajouter les programmes sociaux et les investissements dans la réorientation économique de localités ou de régions entières. Le Québec y perd sur tous les plans.

L’exportation n’est pas une planche de salut. Les interconnexions actuelles sont utilisées à capacité. Pour exporter plus, il faudra en construire de nouvelles ce qui n’est ni automatique – de l’opposition se manifeste sur les projets actuels; ni rapide – une fois approuvé un projet peut prendre des années à se réaliser; ni gratuit – la construction de telles infrastructures se chiffre en milliards $, ce qui en réduit grandement la rentabilité6.

En manque de débouchés, tenter de faire disparaître les excédents d’électricité derrière les barrages hydroélectriques, en privant les Québécois de leur énergie patrimoniale, est une idée vouée à l’échec.

S’il est un moment où le Québec a besoin de jouer ses atouts pour relancer sa propre activité économique et industrielle, c’est bien aujourd’hui. Gonfler à court terme les profits d’Hydro-Québec – et de son actionnaire unique – en fragilisant la structure industrielle du Québec n’avance en rien le Québec dans son autonomie économique et dans sa création de richesses.

Compétitivité

Le gouvernement reconnaît la perte de compétitivité du tarif industriel dans son « Décret de préoccupations », même s’il n’en tire pas les conclusions qui s’imposent. La Commission sur les enjeux énergétiques du Québec, bien que ses prémisses n’aient pas été favorables à l’industrie, n’a pu faire autrement que de conclure elle aussi que les tarifs d’électricité québécois n’avaient plus le même attrait.

Afin d’éviter de surcharger la facture tarifaire, le rapport de la Commission recommandait d’agir « immédiatement pour cesser tout ajout de capacité de production d’électricité »7, soulignant de plus, à l’égard de l’énergie éolienne que « le rôle premier du gouvernement n’est pas de créer des industries mais bien de mettre en place des orientations structurées et une réglementation facilitant un développement économique durable et profitable pour toutes les régions. »8

Malgré le bien-fondé de cette recommandation, et la réalité encore plus frappante des surplus d’approvisionnement, la Régie de l’énergie avouait son incapacité à tenir compte de cette évidence dans sa décision9 sur l’appel d’offre de 450 MW d’énergie éolienne. Les mesures prévues dans le Projet de loi 28 viendraient en fait dessaisir la Régie de toute influence sur la gestion des approvisionnements. Les audiences qu’elle tient aux deux ans sur le plan d’approvisionnement de HQD en deviendraient caduques.

En conservant l’énergie patrimoniale inutilisée derrière les barrages d’Hydro-Québec Production et en balayant les coûts de l’électricité post-patrimoniale chez les clients d’Hydro-Québec Distribution, la société d’État et le gouvernement pourraient tenter d’escamoter les surplus d’approvisionnement. Mais il s’agit là d’une illusion qui ne trompe personne.

Stabilité, prévisibilité

Pour attirer les investissements industriels, les tarifs d’électricité doivent aussi être stables et prévisibles. L’officialisation, dans le Projet de loi 28, de l’incapacité de la Régie à tenir compte du contexte excédentaire de l’approvisionnement confirme que les hausses tarifaires pourront se poursuivre au Québec sans aucun lien avec les marchés internationaux.

De plus, en saisissant les trop-perçus, plutôt qu’en les répartissant selon la méthode que vient d’élaborer la Régie, le gouvernement envoie le signal qu’il peut jouer à sa guise dans la fixation des tarifs. Même si cette saisie des trop-perçus ne durait pas plus d’un an – ce dont l’état des finances québécoises fait douter – le message demeure limpide pour les investisseurs industriels.

En ayant fait « disparaître » les surplus chez HQD, l’actionnaire d’Hydro-Québec pourrait même décider d’utiliser finalement la capacité de production de la centrale thermique de TransCanada Énergie, afin de valoriser au maximum l’électricité patrimoniale à son propre bénéfice.

Devant un tel laxisme réglementaire, qui laisse toute discrétion au gouvernement d’agir directement sur les tarifs, il devient difficile, voire impossible, pour un groupe industriel de considérer un investissement.

Des conditions essentielles à l’investissement

Une entreprise pour laquelle l’électricité représente de 25 % à 75 % de ses intrants, comme c’est le cas des industries grandes consommatrices d’électricité, ne peut tout simplement pas investir lorsque les tarifs d’électricité ne sont ni compétitifs, ni stables, ni prévisibles. D’autant plus que les perspectives d’investissements, dans des juridictions souvent plus accueillantes, ne manquent pas sur la planète.

La compétition des filiales nationales pour les investissements au sein des grands groupes est féroce. Les entreprises ont le choix d’investir partout sur la planète et elles se voient offrir de nombreux incitatifs. Avec un concurrent aussi dynamique – et aussi rapproché – que les États-Unis, le Québec ne peut laisser fléchir l’attrait de ses tarifs d’électricité, y compris à moyen et long terme.

Il ne faut jamais oublier qu’une installation industrielle, même d’envergure, dans laquelle on n’investit pas est vouée à la délocalisation ou à la fermeture. Or, Les amendements proposés en matière d’énergie dans le Projet de loi 28 vont EXACTEMENT dans la direction opposée aux conditions qui favorisent l’investissement et qui attirent les nouvelles implantations.

Le gouvernement ne peut traiter la question énergétique comme si le Québec vivait en vase clos. Surtout lorsqu’il s’agit de l’un de nos principaux moteurs de développement industriel et de création de richesses, dont le Québec a si grandement besoin.

Un amendement à la Loi sur la Régie de l’énergie est essentiel, mais pas celui-là !

Les intérêts à court terme du gouvernement à l’égard de l’équilibre budgétaire ne doivent pas nuire aux intérêts à long terme des Québécois, au développement industriel et à la croissance économique que peuvent assurer des tarifs compétitifs, stables et prévisibles.

Surplus d’approvisionnement

La reconnaissance des surplus est nécessaire pour rationaliser les approvisionnements. Il est essentiel de respecter la réalité des faits pour éviter la mise en service d’énergie additionnelle à fort coût, ce qui ne peut que faire escalader les tarifs. Or, les tarifs industriels sont déjà improductifs pour maintenir et stimuler l’activité industrielle au Québec. Les faire augmenter relève de l’irresponsabilité.

Approvisionnements

Plutôt que de lui nier toute autorité en la matière, l’amendement législatif nécessaire doit exiger de la Régie de l’énergie qu’elle tienne compte des besoins d’approvisionnement réels dans l’autorisation de tout appel d’offre.

Énergie patrimoniale

Plutôt que d’obliger les clients d’Hydro-Québec à assumer tous les coûts de l’énergie post-patrimoniale, ceux-ci devraient avoir un accès prioritaire à l’énergie patrimoniale. Telle était l’intention à l’origine de la création du concept d’énergie patrimoniale et de la Régie de l’énergie.

La compétitivité, la stabilité et la prévisibilité des tarifs industriels d’électricité ne sont pas des choix. Ce sont des conditions. Si l’on ne réussit pas à les réunir de nouveau, la structure industrielle du Québec ne peut qu’en souffrir. Et, avec elle, la solidité de l’économie québécoise et la capacité d’offrir les services qui font la fierté des Québécois.fin

Notes

  1. Projet de loi n°28 : Loi concernant principalement la mise en œuvre de certaines dispositions du discours sur le budget du 4 juin 2014 et visant le retour à l’équilibre budgétaire en 2015-2016, pp 16-17, Chapitre IV, Énergie et Ressources naturelles ; Section 1, Mesures concernant l’énergie.
  2. Décret 841-2014, 24 septembre 2014, CONCERNANT les préoccupations économiques, sociales et environnementales indiquées à la Régie de l’énergie se rapportant à l’évolution des tarifs d’électricité pour l’année tarifaire 2015-2016
  3. Projet de loi n°25 : Loi concernant principalement la mise en œuvre de certaines dispositions du discours sur le budget du 20 novembre 2012, pp 9-11, Chapitre I, Mesures concernant les ressources naturelles et l’énergie; Section I, Tarifs de transport et de distribution de l’électricité et coût de fourniture de l’électricité patrimoniale
  4. L’emploi manufacturier a chuté de 18 % des emplois québécois à seulement 12 % pendant cette période. Pierre Fortin, La maladie Hollandaise, c’est quoi, L’Actualité, 15 décembre 2014, p. 44.
  5. Les consommateurs industriels d’électricité : Au cœur des stratégies énergétiques, économiques et environnementales du Québec, septembre 2013
  6. Voir : Olivier Charest, Northern Pass, CHPE et La Romaine : est-ce rentable ? L’Énergique, décembre 2012, pp. 8-11
  7. Commission sur les enjeux énergétiques du Québec, Roger Lanoue, Normand Mousseau, Coprésidents, Maîtriser notre avenir énergétique pour le bénéfice économique, environnemental et social de tous, Gouvernement du Québec, Février 2014, 308 pages, Recommandation 41, page 231
  8. Op. cit. p.55
  9. Régie de l’énergie du Québec, décision D-2014-180 sur la requête R-3866-2013 Demande d’approbation de la grille de pondération des critères d’évaluation pour l’appel d’offres de 450 MW d’énergie éolienne, 20 octobre 2014

Notes

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