Été 2014  
VOLUME 8 | NUMERO 2  
 

 
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René Boisvert


Vive la concurrence, équitable



Par René Boisvert

Président et directeur-général
Silicium Québec SEC

Lorsque la Politique industrielle 2013-2017 a été déposée, en octobre dernier, l’AQCIE a souligné que les mesures incitatives qu’elle proposait pour attirer les nouvelles implantations industrielles pouvaient causer un grave déséquilibre, lorsqu’elles ne respectent pas les principes de la concurrence équitable, le level playing field, l’un des fondements d’une économie viable.

Pour qu’elles portent fruit, il faut donc s’assurer que les initiatives du gouvernement pour attirer de nouvelles industries ne mettent pas en péril les moteurs économiques actuels du Québec.

Dans le cadre du sommet de Davos, le gouvernement annonçait en janvier dernier l’implantation imminente au Québec d’une usine de silicium de la société espagnole FerroAtlantica. Cette usine, l’intégration de sa production au marché et les incitatifs offerts par le gouvernement pour sa venue ont fait couler beaucoup d’encre.

En tant que PDG de Silicium Québec, entreprise intégrée au plus important fabricant nord-américain de silicium, Global Specialty Metals, je connais très bien les conditions du marché et les forces en présence. Et ces conditions nous ont fait considérer avec une appréhension extrême la venue d’une nouvelle usine moderne, dotée d’une capacité de production du double de la nôtre et subventionnée par des tarifs d’électricité préférentiels.

Si certaines craintes se sont maintenant dissipées, les risques ne sont pas tous écartés.

Nous percevons de façon favorable l’installation de la nouvelle usine à Port-Cartier, confirmant l’accent placé sur l’exportation, y compris outre-Atlantique. Son implantation en deux phases, 50 000 tonnes/an à l’horizon de 2017, puis 100 000 t/an à compter de 2022 permet aussi d’anticiper une certaine adaptation au marché. Et, assurément, l’offre du ministre québécois de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations de nous consentir le même tarif d’électricité que celui qui sera accordé à la nouvelle usine contribue à rétablir une concurrence équitable.

Mais, le marché mondial du silicium étant saturé, la partie est loin d’être gagnée pour FerroAtlantica comme pour nous.

Au Canada

La consommation totale de silicium au Canada s’élève à 22 000 t/an, dont la plus grande partie est utilisée au Québec. Avec ses 47 000 t/an, la capacité de production de notre usine de Bécancour est déjà plus du double de cette demande, que cherchent aussi à combler des producteurs de France, d’Espagne, d’Afrique du Sud, d’Australie, de Norvège et du Brésil. Jusqu’en novembre dernier cependant, et cela depuis le début des années 2000, le marché canadien était presque entièrement alimenté par des producteurs de Chine. Cette situation a connu un terme à la suite de l’imposition récente, par le Tribunal canadien du commerce extérieur, de droits anti-dumping exceptionnels de 230 % pour une période de 5 ans au silicium d’origine chinoise.

Sans cette décision, l’usine de Bécancour était condamnée à une fermeture prolongée. En effet, pour assurer notre survie, nous avions dû demander à nos employés, au printemps 2013, de consentir à une réduction de leur salaire et de leurs avantages sociaux de 46 %. Il s’est ensuivi un lock-out de 8 mois, qui n’a pris fin qu’avec l’imposition des droits anti-dumping précités, puisqu’ils ont permis la reprise des négociations.

Cela se passait moins de trois mois avant que le gouvernement n’annonce l’établissement au Québec de l’usine de silicium de FerroAtlantica, promise à devenir la plus grande d’Amérique du Nord. Cette nouvelle usine sera donc obligée d’exporter toute sa production – ou nous forcera à le faire – dans un marché mondial sursaturé par le silicium chinois offert à très faible prix.

En Amérique du Nord

Le marché nord-américain du silicium s’élève à environ 300 000 t/an. Selon CRU – la référence internationale des marchés des mines, des métaux et des fertilisants – la capacité de production s’établit à 195 000 t/an aux États-Unis, à laquelle s’ajoute la production canadienne de 47 000 t/an – essentiellement la nôtre – pour un total de 252 000 t/an. La production additionnelle de l’usine de FerroAtlantica viendrait combler la demande… mais ce serait sans compter nos concurrents internationaux.

Déjà, Globe Specialty Metals, notre actionnaire majoritaire, ne produit pas à pleine capacité aux États-Unis, même si ses usines sont les plus performantes au monde, avec les coûts de production les plus bas. Silicium Québec est son installation dont les coûts d’exploitation sont les plus élevés, notamment en raison de la perte de compétitivité du tarif industriel d’électricité1. À cet égard, l’accès au même tarif préférentiel que FerroAtlantica viendra aider notre situation.

Un très gros joueur dans un marché difficile

Le succès d’un nouveau joueur, à plus forte raison de l’envergure à laquelle aspire FerroAtlantica, n’est jamais garanti dans notre marché. Sans jouer les prophètes de malheur, force est de constater que la faillite du premier propriétaire d’une usine de silicium y est la norme plutôt que l’exception. Ce fut d’ailleurs notre cas, alors que notre ancien actionnaire majoritaire, Silicium Bécancour, a dû se placer sous la protection de ses créanciers au début 2012, avant d’être remplacé par Global Specialty Metals.

À l’évidence, FerroAtlantica a dû faire ses devoirs, d’autant plus que l’aide gouvernementale sera moins élevée qu’initialement anticipée, la participation d’Investissement Québec se limitant désormais à un prêt plutôt qu’à une prise de participation. Comme je le soulignais plus haut, les nouveaux paramètres du projet – son emplacement, sa mise en service progressive – diminuent les interférences entre nos deux exploitations et leur offrent de meilleures chances de succès. Avec l’assurance d’obtenir les mêmes tarifs d’électricité que le nouveau joueur, nous nous approchons d’une concurrence équitable. Alors maintenant, que le meilleur gagne ! fin

Notes

  1. Le tarif L nuit à l’activité industrielle du Québec, l’actualité commentée par l’AQCIE

Notes

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