Été 2014  
VOLUME 8 | NUMERO 2  
 

 
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Mot du directeur exécutif

Droit à l’électricité patrimoniale
Lorsque le cadre règlementaire ne cadre plus avec la réalité



Par Luc Boulanger

Directeur exécutif, AQCIE

Les Québécois ont encore l’impression que l’électricité patrimoniale, à faible coût, lui est destinée. Mais il en est tout autre dans l’esprit du gouvernement et d’Hydro-Québec. Selon eux, les citoyens et les entreprises québécoises doivent d’abord payer le gros prix pour l’électricité post-patrimoniale, dont l’éolien et ses coûts d’intégration. Ce n’est qu’une fois défrayées ces formes d’énergie dispendieuses et inutiles, en raison des impressionnants surplus qui perdurent, que les Québécois ont accès à l’électricité patrimoniale à bon marché. Tout le reste va à Hydro-Québec Production – et à son actionnaire principal le gouvernement du Québec – pour être valorisé à l’exportation ou engrangé derrière les barrages.

Ainsi, le gouvernement et Hydro-Québec peuvent faire payer aux abonnés résidentiels et industriels les subventions au développement régional – notamment pour l’éolien – tout en conservant les bénéfices des impressionnants ouvrages hydroélectriques largement amortis. Cela ne concorde ni avec l’intention initiale du gouvernement, lors de la création de la Régie de l’énergie, ni avec l’intérêt des clients d’Hydro-Québec.

Un peu d’histoire

Au Québec, la réglementation du transport et de la distribution de l’électricité date d’une quinzaine d’années. L’idée de règlementer les tarifs d’électricité, calquée sur l’expérience du gaz naturel qui remonte aux années 1950, est apparue avec la politique énergétique de 1996, mise en branle à la suite de vastes consultations qui eurent lieu au début des années 1990. Cette politique, dont le gouvernement péquiste était l’instigateur, visait notamment l’instauration d’un régime permettant l’établissement des tarifs d’électricité à l’abri de pressions politiques, d’une part, et, d’autre part, assurant que cet exercice soit accompli en toute transparence, en ayant recours à des experts chevronnés, souvent de stature internationale, pour guider dans ses travaux la Régie de l’énergie, instituée la même année (1996).

D’autres considérations militaient en faveur de l’instauration d’un tel régime, dont la nécessité d’offrir aux juridictions limitrophes un accès au réseau québécois de transport d’électricité, dans la foulée de la libéralisation nord-américaine des marchés de l’électricité. La création d’un organisme indépendant du gouvernement, chargé d’établir les conditions et les tarifs, était certes la façon de faire pour conférer toute la légitimité et la crédibilité voulues au processus.

L’origine de l’énergie patrimoniale

Les premiers mandats confiés à la Régie à l’égard des tarifs d’électricité furent la demande d’avis sur l’énergie éolienne et sur le tarif de fourniture. Sur le premier sujet, la Régie soulignait que l’ajout d’une quote-part d’énergie éolienne dans le portefeuille des ressources d’Hydro-Québec, au regard du contexte énergétique particulier prévalant actuellement au Québec, ne saurait se justifier par des besoins en production et, pour cette raison, que seul le gouvernement, à titre de bénéficiaire des retombées économiques, devra assumer les conséquences financières résultant de l’écart entre le coût de production éolienne et celui de la production hydraulique.1 Nous y reviendrons.

Quant au tarif de fourniture, la Régie recommandait de réglementer les actifs de production d’Hydro-Québec sur la base des coûts, ce qui aurait donné lieu à des baisses considérables de tarifs, se chiffrant en milliards de dollars pour les usagers québécois, tout en garantissant un rendement raisonnable pour l’actionnaire d’Hydro-Québec. Plutôt que de suivre la recommandation de la Régie, le gouvernement, sur la base d’un rapport établi par la firme Merryl Lynch, fixe par voie législative, le 16 juin 2000 (projet de loi 116), la quantité et le prix de ce qu’il a alors appelé l’électricité patrimoniale, électricité qui sera dédiée au marché québécois.

La motivation à l’instauration de ce régime est simple. C’est une question de dollars. Le prix fixé, 2,79 ¢/kWh pour 165 TWh, est supérieur à ce qu’il était nécessaire pour garantir un rendement raisonnable pour les activités de production. Le gouvernement en est bien conscient et c’est pourquoi le ministre responsable de l’époque, Jacques Brassard, déclare en chambre que ce prix est garanti par la loi et qu’il ne pourra être revu qu’à la baisse, dans la mesure où le rendement des actifs de production dépasserait 20 %.

Cette loi, adoptée sous le bâillon, ne faisait pas consensus puisque tous les groupes d’intervenants concernés – consommateurs, producteurs privés, écologistes – avaient dénoncé publiquement au cours des deux années précédentes le régime que le gouvernement s’apprêtait à instaurer. Les groupes réclamaient une réglementation des activités de production sur la base des coûts, à l’instar du premier avis de la Régie de l’énergie. Qu’importe, le gouvernement décide de libéraliser la production de l’électricité et réglemente sur la base des coûts les activités de transport et de distribution.

Un prix qui ne peut être revu qu’à la baisse…

Un gel tarifaire est aussi décrété pour l’avenir prévisible. Ce gel durera cinq ans. Le hic, c’est qu’en fixant le prix de la production à 2,79 ¢/kWh, assorti d’un gel tarifaire pour les usagers québécois, les tarifs de transport et de distribution ne permettent pas d’obtenir un rendement raisonnable sur l’avoir propre de ces divisions règlementées. Comme la Régie de l’énergie doit, en vertu de sa loi constitutive, consentir un rendement raisonnable sur l’avoir propre des entreprises assujetties, ce n’est qu’une question de temps avant que les tarifs ne soient revus à la hausse pour répondre à cette obligation.

De fait, des augmentations nettement supérieures à l’inflation sont accordées à Hydro Québec dès les premières années qui ont suivi le gel tarifaire. Nul besoin de mentionner que, contrairement aux déclarations de l’époque du ministre Brassard, le prix de l’électricité patrimoniale n’a jamais été revu à la baisse, peu importe l’augmentation du rendement réalisé sur les actifs du producteur – eux aussi patrimoniaux et en bonne partie amortis aux frais des consommateurs et des industriels québécois. Au contraire, nous assistons même à son indexation depuis cette année.

On note aussi d’autres accrocs au régime réglementaire mis en place à cette époque – et pas des moindres – sous la forme d’écarts de rendement, ou de revenus perçus sur les activités réglementées en surplus des rendements autorisés, favorisant l’actionnaire unique d’Hydro-Québec pour plus d’un milliard de dollars depuis 2008.

La certitude d’avoir droit à son patrimoine

Malgré le fait que la tour semble toujours pencher du même côté, à l’avantage de l’actionnaire d’Hydro-Québec, les consommateurs ont toujours pris pour acquis que l’électricité patrimoniale qui leur était dédiée en vertu de la loi était un bloc monolithique immuable. Les explications fournies lors des forums sur le nouveau régime, tout comme les audiences publiques qui eurent lieu au début des années 2000, précisaient que le distributeur, responsable de la desserte du marché québécois, devait émettre un appel d’offres lorsque les quantités requises pour cette desserte dépasseraient les 165 TWh d’électricité patrimoniale. Il était difficile d’imaginer que le distributeur choisisse d’émettre des appels d’offres sans qu’il n’y ait de besoins à combler. C’est d’ailleurs pour cela que certains projets mis de l’avant par Hydro-Québec ont échoué devant la Régie de l’énergie, cette dernière n’ayant pu être convaincue de l’existence des besoins à combler.

La stratégie énergétique 2006-2015 du gouvernement libéral stipulait que le distributeur devait satisfaire ses besoins post-patrimoniaux en électricité par le développement de la filière éolienne, à hauteur de 4000 MW. C’est ainsi que les décrets du gouvernement se sont succédés pour la mise en œuvre de parcs éoliens jusqu’à concurrence de 3100 MW, sans que la démonstration ne soit faite de réels besoins à combler, prenant pour acquis que cette production trouverait preneur avec l’accroissement normal de la demande intérieure.

Même lorsque nous nous sommes trouvés en situation de surplus, les achats d’énergie éolienne se sont poursuivis, contrairement au principe d’économie générale de la réglementation. En 2013, le gouvernement péquiste a tenté, sans succès, d’inverser la hiérarchie en matière d’approvisionnement, suggérant que l’électricité patrimoniale soit plutôt utilisée comme portion résiduelle des besoins québécois, les clients d’Hydro-Québec devant utiliser d’abord l’électricité post-patrimoniale. L’électricité patrimoniale non utilisée serait alors retournée au producteur pour valorisation au seul profit de l’actionnaire. D’un seul coup les surplus d’approvisionnement viennent de disparaître, puisque l’énergie patrimoniale joue désormais un rôle de « tampon » de 165 TWh !

« Il y a un troisième volet (…) dans les amendements que je retire, qui avaient trait à la gestion des surplus d’électricité. (…) C’est de s’assurer que c’est Hydro-Québec Production qui exporte sur les marchés extérieurs (…), s’alimente d’électricité du bloc patrimonial pour exporter et qu’on laisse donc à Hydro-Québec distribution ce qui reste de patrimonial et le post-patrimonial (…) Pour simplifier les choses encore plus, (…) c’est une meilleure gestion, des exportations, plus payante chez Hydro-Québec, puis ça se traduit par un dividende plus important pour le gouvernement et sans impact tarifaire pour les consommateurs.2»

Comme la part du lion qu’occupe l’éolien dans les dernières demandes tarifaires d’Hydro-Québec nous le rappelle, l’impact tarifaire pour les consommateurs est loin d’être aussi homéopathique que ne l’entendait l’ex-ministre Nicolas Marceau. Et, même si l’amendement qu’il citait n’est jamais devenu loi, Hydro-Québec n’en demeure pas moins convaincue qu’il s’agit de la seule façon sensée de gérer ses approvisionnements. Hydro-Québec Distribution choisit ainsi d’utiliser d’abord l’énergie post-patrimoniale et elle refile l’électricité patrimoniale qu’elle ne peut utiliser à Hydro-Québec Production qui engrange, avec son actionnaire, les millions générés par l’exportation de notre « patrimoine ».

Cette question a été débattue lors des derniers dossiers tarifaires du Distributeur alors que les industriels recommandaient de différer davantage d’électricité patrimoniale et d’intervenir sur les marchés pour optimiser le coût de ses approvisionnements aux bénéfices des usagers. Ce n’est pas ce qu’envisage de faire le Distributeur laissant les interventions sur les marchés une chasse bien gardée pour Hydro-Québec Production.

Sur ce dernier point, dans tous les dossiers qui furent débattus devant la Régie de l’énergie, en regard de la mise en place de moyens de production d’électricité post-patrimoniale sous la houlette du Distributeur, il a toujours été question de revaloriser, au bénéfice des consommateurs, les surplus que de tels moyens de production occasionneraient dans l’exercice de l’appariement de l’offre et de la demande. D’ailleurs, une décision spécifique de la Régie à cet effet a déjà été rendue.

« La Régie juge que les risques associés à l’option Revente sont adéquatement couverts par l’espérance de rente économique, qu’ils peuvent être mitigés avec une stratégie prudente (flexibilité du cyclable, revente de blocs de 50 MW sur divers marchés, par plusieurs intermédiaires, etc.) et avec l’utilisation des instruments financiers disponibles. Le Distributeur doit maximiser cette rente au profit de ses consommateurs, tout en réduisant ses risques. Il est incité à explorer les moyens d’atteindre ces objectifs avec les acteurs du marché avec lequel il transige, y compris le Producteur.3»

En fait, comme cette électricité coûte déjà très cher à la base, il s’agit plutôt de limiter les pertes que d’un réel bénéfice.

Lorsque l’on explore d’autres ententes entre les divisions réglementées et non-réglementées d’Hydro-Québec, comme celle de l’intégration éolienne, on retrouve un « regroupement » de services dont certains n’ont que peu ou pas de valeur et pour lesquels il nous faut payer un prix élevé. Comme on le dit souvent, le diable est dans les détails. Et, tout en reconnaissant que les dossiers sont soumis à l’examen des personnes intéressées, l’asymétrie de l’information et les ressources financières dont disposent les intervenants pour effectuer une contre-expertise détaillée de ces questions peut s’avérer déficiente.

À cela vient s’ajouter les objectifs poursuivis par le gouvernement qui prennent forme de décrets ou d’orientations dont la Régie doit tenir compte dans l’exercice de ses fonctions. Tous reconnaissent d’emblée que les derniers appels d’offres pour la production d’énergie éolienne poursuivaient un objectif de développement économique, pour soutenir cette filière, et qu’elles ne répondaient à aucune demande d’approvisionnement post-patrimonial nécessaire au Distributeur pour faire face à ses obligations.

À l’évidence, et malheureusement pour les clients d’Hydro-Québec, le cadre réglementaire qui a présidé à la création de la Régie de l’énergie – et surtout à l’égard de l’énergie patrimoniale – ne cadre plus avec la réalité de la gestion d’Hydro-Québec, ni avec les attentes de dividendes du gouvernement. fin

Notes

  1. 1. Avis 98-02, Régie de l’énergie, Sommaire. http://www.regie-energie.qc.ca/audiences/4_avis/a-98-02.pdf .
  2. Nicolas marceau, Journal des débats de la Commission des finances publiques, Le mardi 11 juin 2013 – Vol. 43 No 47 (Reprise à 20h42)
  3. Régie de l’énergie du Québec, Décision D-2007-13, dossier R-3624-2007, le 26 février 2007, p. 16

Notes

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