Automne 2015  
VOLUME 9 | NUMERO 2  
 

 
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La marche vers la réglementation incitative est engagée


Par Benoît Pépin

Directeur Énergie, Amérique du Nord, Aluminium, Rio Tinto et
Vice-président de l’AQCIE

Déjà appliquée depuis quelques décennies à travers le monde, la réglementation incitative vise à soumettre les monopoles aux forces innovantes de la concurrence. Au Québec, les filiales réglementées d’Hydro-Québec – Hydro-Québec Distribution et Hydro-Québec TransÉnergie – seront visées par le mécanisme de réglementation incitatif (MRI) qu’est à établir la Régie de l’énergie, à l’invitation du gouvernement.

Les lecteurs de L’Énergique se souviendront que j’ai écrit sur ce sujet, la première fois remontant à juin 20121. En novembre de la même année, le gouvernement annonçait dans son budget l’intention de voir la Régie de l’énergie se destiner vers cette forme de réglementation, intention concrétisée dans la loi de mise en œuvre qui ajoute l’article 48.1 à la Loi sur la Régie de l’énergie :

48.1. La Régie établit un mécanisme de réglementation incitative assurant la réalisation de gains d’efficience par le distributeur d’électricité et le transporteur d’électricité.

Ce mécanisme doit poursuivre les objectifs suivants :

  1. l’amélioration continue de la performance et de la qualité du service;
  2. une réduction des coûts profitable à la fois aux consommateurs et, selon le cas, au distributeur ou au transporteur;
  3. l’allégement du processus par lequel sont fixés ou modifiés les tarifs du transporteur d’électricité et les tarifs du distributeur d’électricité applicables à un consommateur ou à une catégorie de consommateurs .

Un processus bien enclenché

Depuis quelques mois, la Régie a mis en branle le processus d’établissement de ce MRI. La Régie a statué sur un examen en trois phases (cliquez sur la vignettet pour l'agrandir).

Processus d’établissement du MRI

Principales caractéristiques d’un MRI

Selon Mark Lowry, notre expert de Pacific Economic Group, un MRI devrait avoir les caractéristiques suivantes :

  • Il doit offrir un incitatif convaincant et équitable à offrir, de façon efficiente, des services de qualité.
  • L’entreprise doit se voir offrir une chance équitable de récupérer le coût de ses services livrés de façon efficiente.
  • Les gains de productivité doivent être partagés entre l’entreprise, ici Hydro-Québec, et ses clients, bien que le mode de ce partage peut grandement varier.
  • L’entreprise doit aussi avoir la chance d’atteindre un rendement supérieur sur le capital qu’elle a investi dans la mesure où elle réalise une performance supérieure.
  • Il doit permettre l’allègement de la réglementation en place.

Les prémisses de cette position me semblent être les suivantes :

  • Le MRI est un choix du gouvernement et il est enchâssé dans la loi. Hydro-Québec et la Régie se doivent d’en mettre en œuvre tant l’essence que la lettre.
  • Le MRI est bon tout autant pour l’actionnaire que pour les clients, qui bénéficient ensemble de l’efficience et de la création de valeur par la société d’État.
  • Le MRI est là pour donner les leviers à Hydro-Québec de réaliser cet objectif. Le MRI est donc un allié, pas une contrainte ou quelque chose qui doive faire peur.

En agissant autrement, Hydro-Québec ne serait soumise à aucun incitatif convaincant.

Après tout, l’essence de ce que le MRI vise à créer est un modèle de concurrence là où il n’en existe pas. Il amène à soumettre Hydro-Québec aux mêmes pressions qui façonnent l’ensemble des autres entreprises. Ces pressions agissent sur l’ensemble des leviers d’entreprise, pas seulement ceux sur lesquels elle a le contrôle.

Prenons le cas de ses clients industriels. Nous ne contrôlons pas les taux d’intérêt, donc le coût de notre capital, le prix de nos produits, ni souvent de nos intrants. Notre capital est important et investi pour une longue période. Pourtant, nous profitons de cette situation malgré ces changements constants. N’eut été de tels changements nos téléphones seraient encore noirs, à cadran et attachés au mur et Coppertone vendrait encore de l’huile à bronzer.

S’il est vrai qu’Hydro-Québec est l’un des plus grands transporteurs et distributeurs, elle n’est pas pour autant unique. Si la charge de chauffage est importante au Québec et que le climat influence ses revenus, il ne faut pas en tirer la conclusion qu’un MRI ne peut s’appliquer. Ce serait ignorer la capacité de l’entreprise de répondre aux facteurs externes qui l’entourent.

Plus important encore à cet égard, il restera à briser devant la Régie de l’énergie le mythe qu’Hydro-Québec ne contrôle pas par ses actions, ses normes et ses façons de faire, le coût de son approvisionnement en électricité. Elle est au cœur de la détermination de ces coûts par la définition des produits qu’elle achète, par le processus d’appel d’offres qu’elle définit et administre. En fait, elle est dans la position unique d’influencer tant l’offre que la demande pour son produit. Qui d’autre alors devrait avoir le plus grand incitatif à contrôler ces coûts?

Il en est de même pour le coût du service de transport. À en croire l’expert d’Hydro-Québec, les investissements en transport ne sont ni la responsabilité d’Hydro-Québec Distribution qui demande le service, ni celle de TransÉnergie qui s’y dit contrainte… comme si l’accès au capital était infini et le renouvellement de son parc par des actifs semblables une fatalité.

Il semble se dégager l’idée que le seul gain matériel du MRI pour Hydro-Québec serait la réduction de la supervision de ses activités par le processus réglementaire. Ce serait passer à côté de la véritable opportunité que crée la réglementation incitative.
Dans cet important débat, nous devrons aussi garder à l’esprit le rôle que joue Hydro-Québec comme société d’État. Le débat devant la Régie devra s’intéresser à cette situation et ségréguer aux fins de la conception du MRI le rôle de l’État comme actionnaire intéressé au profit qu’il tire d’Hydro-Québec et comme législateur, protecteur du bien commun.

Résultats

Il faut rappeler qu’une coalition d’intervenants devant la Régie – au regroupement desquels l’AQCIE a ardemment travaillé – a donné l’impulsion initiale au processus. En mars 2013, la coalition réclamait, par voie de communiqué2 et du dépôt d’une requête, le lancement rapide de discussions sur la réglementation incitative.

Depuis lors, le dossier a beaucoup évolué. Nous sommes heureux que ce soit l’expert que nous avons proposé qui guide le débat de l’ensemble des intervenants devant la Régie sur les caractéristiques du MRI à retenir.

Nous poursuivons nos efforts pour contribuer à l’alignement des représentations de tous les intervenants, afin de contribuer à l’efficience du débat réglementaire. Dans la poursuite de ce dossier, nous aurons pour objectif :

  • De contribuer à informer la Régie sur les choix qui se présentent à elle et sur les décisions qui doivent impérativement être prises pour mener le processus à bien.
  • De travailler à la tenue de la Phase II, sur l’étude de productivité multifactorielle.
  • De guider la Régie vers un mécanisme qui favorise l’efficience économique – et non, candidement, d’autres objectifs sociaux et environnementaux.

Ces autres objectifs légitimes ne sont pas au cœur du MRI bien qu’il les influence. Le MRI doit rester centré sur l’efficience de la fourniture d’électricité aux clients québécois, et non d’en partager les bénéfices. Ce rôle, important, appartiendra à la Régie et au gouvernement, mais dans un cadre autre que celui de la réglementation incitative.

En somme, nous souhaitons travailler à l’adoption d’un MRI qui favorisera la croissance de l’économie québécoise par les moteurs économiques que sont les consommateurs industriels d’électricité et la prise en main par notre société d’État de tous les leviers à sa disposition pour gagner en efficience. Nous ne souhaitons que l’appui d’Hydro-Québec, de son actionnaire et de la Régie de l’énergie à l’atteinte de cet objectif. fin

Notes

  1. Réglementation incitative : un reflet essentiel de l’économie de marché, L’Énergique, Vol. 6 No. 2, juin 2012
  2. Requête pour le lancement immédiat des discussions sur la réglementation incitative des tarifs de l’électricité, Communiqué de l’AQCIE, 27 mars 2013; Requête R-3835-2013

Notes

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